La collection Marcadé, une donation inattendue de 2 000 œuvres d’art à la Ville d’Anglet

En 2021, il reçoit la visite de Jean-Claude Marcadé. L’homme, 85 ans, éminent intellectuel, est connu comme spécialiste de l’avant-garde russe, « l’art de gauche » selon ses propres termes. Lui et son épouse Valentine ont réalisé…

En 2021, il reçoit la visite de Jean-Claude Marcadé. L’homme, 85 ans, éminent intellectuel, est connu comme spécialiste de l’avant-garde russe, « l’art de gauche » selon ses propres termes. Lui et son épouse Valentine ont réalisé la traduction des écrits de Kasimir Malévitch, fondateur du suprématisme. Le couple, proche de nombreux artistes, dont Sonia Delaunaya vu défiler dans son appartement parisien, ces amitiés électives, occasions de riches rencontres.

L’un des usages de la maison, qu’aime à narrer Jean-Claude Marcadé, était ces expositions organisées rue Saint-Sulpice, avec des catalogues artisanaux, témoins de cette effervescence. De là est née la notion de collection, principalement des cadeaux de proches. Il n’y a jamais eu de « volonté de spéculer », précise-t-il. Petit à petit, le duo a accumulé dessins, peintures, sculptures et gravures : un processus lent ouvert notamment à la « civilisation russienne », addition de la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie, de la fin du XIX^e siècle à nos jours.

Témoin d’une union amoureuse

Le fonds Marcadé témoigne donc d’une tranche de vie, celle de passionnés par la chose artistique, mais aussi d’une union amoureuse qui, dans la collection, croisait un goût commun pour les œuvres. Jean-Claude Marcadé évoque sa défunte épouse comme son initiatrice, alors qu’étudiant en lettres classiques, celle qui était sa professeure, l’a amené sur ce champ.

« On a visité énormément d’ateliers ensemble, dès les années 1960-1970. On allait partout, jusqu’en Israël, aux États-Unis où il y avait encore beaucoup d’artistes, russes ou ukrainiens. On était en symbiose. »

Une ligne traverse le fonds Marcadé : la présence importante de plasticiens russes et ukrainiens : Malévitch au premier plan, dont on saura apprécier les 15 sérigraphies de « La Victoire sur le soleil » visibles dans l’actuelle exposition présentée à la villa Beatrix Enea, André Lanskoy, Mickaïl Andreenko, Anne Staritsky, Raphaël Khérumian, Maxime Arkhanguelski et bien d’autres (1).

Jambes sans conditions

C’est avec ce pan de mémoire sous le bras, à la fois intellectuel et sentimental, que Jean-Claude Marcadé a poussé la porte de la mairie d’Anglet. Il avait entendu parler de la villa Beatrix Enea par des proches dont Corinne Crabos ou Marie-Laure Bernadac qui ont participé à l’aventure de le petit escalierfeu jardin de sculptures créé par le collectionneur Paul Heim, en bord d’Adour. Si la notoriété du lieu l’a convaincu, son âme gasconne – l’homme est natif des Landes – ont sans doute fait le reste.

Il a ainsi proposé de léguer cette collection, « sans conditions particulières, ce qui est assez rare pour le souligner, relève Jean-Michel Barate, sauf celles d’une conservation adéquate et de la nomination d’une personne en charge du fonds ». Le jour même, l’adjoint à la culture a demandé à voir d’urgence Claude Olive pour lui faire part de cette incroyable proposition. « On fera ce qu’il faudra », a répondu le maire d’Anglet, convaincu. « On a lancé un appel à candidatures pour trouver un régisseur des œuvres. » Salomé Moulain est nommée en février 2022.

Une galerie de 300 m² en construction

S’est rapidement posée la question de la conservation et du stockage. « Le sous-sol de la villa Beatrix Enea a été réaménagé pour créer des réserves, tout comme une salle dédiée au fonds », décrit Jean-Michel Barate, généreux puisque ledit espace n’était autre que son bureau, à l’étage de la villa.

Le sous-sol de la villa Beatrix Enea a été réaménagé pour créer des réserves

L’élu ne le regrettera peut-être pas puisque, en face de ses fenêtres, on aperçoit un bâtiment en travaux, tout de verre et de bois. « Nous ouvrirons dans quelques mois une galerie d’art de 300 m² », annonce-t-il, projet qui s’inscrit dans la dynamique de la donation Marcadé. La création de cette galerie, acte fort dans la politique culturelle de la Ville, sera l’occasion de valoriser le fonds mais aussi de proposer une programmation sur le long terme.

C’est donc une nouvelle page qui s’ouvre pour Anglet. Lors du vernissage de l’exposition dédiée à la collection Marcadé, le 2 décembre dernier, le maire Claude Olive a tenu à marquer cette étape en décernant la médaille d’or de la Ville à Jean-Claude Marcadé qui, par la même occasion, a été fait citoyen d’honneur.