Nouvelles Du Monde

“La Belle et la Bête” : Une relecture théâtrale contemporaine de Ludovic Chazaud

“La Belle et la Bête” : Une relecture théâtrale contemporaine de Ludovic Chazaud

Le metteur en scène Ludovic Chazaud recrée au théâtre le célèbre conte “La Belle et la Bête”. Oubliez Disney! Il est ici question d’émigration, de consentement et de masculinité. A découvrir à La Grange de Dorigny (VD) jusqu’au 11 novembre, puis à la Comédie de Genève.

Les contes sont des couteaux suisses. Ils passent de main en main sur plusieurs générations et servent à bien des usages. Au fil du temps, leur sens et leur interprétation se modifient. Au gré des récits, ils peuvent également varier, proposer d’autres pistes, d’autres conclusions.

Prenez “La Belle et la Bête”. Pas facile d’oublier Walt Disney. Depuis 1991, le studio a proposé pas moins de trois dessins animés autour du conte original, lequel remonte au XVIIIe siècle et porte une signature féminine: Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, et son recueil “Le magasin des enfants” en 1756. Bon, Jeanne-Marie l’avait elle-même repris d’une autre femme, Gabrielle-Suzanne de Villeneuve qui l’avait couché sur papier en 1740 à l’occasion de la publication de son recueil “La jeune Américaine et les contes marins”. Il fallait alors occuper le temps très long et incertain des traversées atlantiques.

Lire aussi  les « gadgets » qu'Apple veut lancer dans les années à venir

Que nous racontent ces Belles? Qu’il faut être gentille avec son papa lequel s’épuise au travail pour assurer le confort de sa famille. Qu’il faut maîtriser sa peur lorsque l’on se trouve face à un inconnu dans un château isolé. Qu’il faut distinguer la laideur morale de la laideur physique quand on passe ses journées avec un monstre poilu qui s’avère in fine un roudoudou d’amour.

Il se dit aussi que sous l’Ancien Régime, “La Belle et la Bête” préparait psychologiquement les jeunes filles à devenir l’épouse d’un veuf du double ou du triple de leur âge, la bête étant alors un barbon ridé dont la sagesse et la bienveillance compenseraient le manque d’attrait physique.

Nous sommes en 2023. C’est au tour du metteur en scène Ludovic Chazaud de revisiter le fameux conte sur un plateau de théâtre. Il aborde le récit par le biais d’une enquête documentaire avec un film montré sur le plateau. La Belle est devenue grand-mère. Elle raconte sa jeunesse à sa fille qui la questionne sur l’amour et les baisers. Grand-mère Bella (elle est italienne d’origine et a migré en France avec sa famille) se souvient de son dernier baiser. Car elle a décidé de ne plus jamais embrasser.

Lire aussi  Sally Field « choque » le public en révélant son pire partenaire de baiser à l'écran : « Il y avait beaucoup de bave »

Quatre femmes nous racontent cette histoire de famille forcée à quitter maison et pays suite à une débâcle financière. Il y a Geneviève Isabella Pegaz, la propre grand-mère de Ludovic Chazaud. Et les comédiennes Charlotte Dumartheray, Anne Delahaye et Aline Papin pour incarner les trois sœurs, dont Belle, plus la Bête grâce à une habile transformation physique et vocale.

Seul rôle masculin dans cette histoire, Bastien Semenzato incarne le jeune Antonio, futur mari de Bella, plutôt le genre fumiste et pervers narcissique. Le décor est un appartement, la caméra tourne, l’histoire d’une vie peut commencer. Elle glisse imperceptiblement du témoignage au conte lui-même.

Une première question se pose. Quid de cette héroïne toujours au service d’autrui: son papa, sa famille, son mec, la Bête? Son existence a-t-elle pour seule justification la présence d’un homme à ses côtés qu’il faut servir? Et que faire de cette proposition finalement assez directe: le gîte, le couvert et la conversation en échange d’un peu d’amour?

Dans le spectacle de Ludovic Chazaud, on passe du baiser sur les lèvres au verbe baiser. Le copain de Belle couche avec elle au nom du mariage sans lui demander son avis. Et la Bête ne tourne pas autour du pot: voulez-vous coucher avec moi, ce soir? A son mari Antonio, Belle ne dit rien. Elle abdique au nom du devoir conjugal. A la Bête, elle oppose un non ferme qui lui vaut en retour respect et amitié. Du lien entre bonté et beauté, on est passé à la question du consentement.

Lire aussi  Le chanteur est victime d'un accident de voiture et une personne décède

A-t-elle été heureuse Grand-mère Bella? La réponse est nuancée. Au final, plutôt qu’un happy end, “La Belle et la Bête” se conclut avec un léger goût d’amertume. La pièce indique un âge recommandé à partir de 12 ans. Cette Belle n’est pas un conte de fées pour les petits. Elle possède le côté âpre et cru du réel.

Thierry Sartoretti/mh

“La Belle et la Bête” de Ludovic Chazaud, Lausanne, La Grange de Dorigny, jusqu’au 11 novembre. Genève, La Comédie, du 16 au 25 novembre 2023.
#conte #Belle #Bête #revisité #féminin #combatif #rts.ch
publish_date]

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest

Leave a Comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

ADVERTISEMENT