Journal ukrainien : “Nous voyons l’aspect de la contre-offensive ukrainienne qui n’est pas à la une des journaux”

Pour être honnête, je suis plutôt soulagé. Parce que les étés ne sont plus comme avant, quand Instagram n’était rempli que de photos ensoleillées d’amis sur la plage ou explorant une nouvelle ville, tandis que Facebook documentait comment nos parents géraient les longues vacances d’été de leurs enfants. Quand rien ne semblait se passer.

On dirait probablement que je manque juste des jours d’enfance plus simples. Mais c’est plus que cela : la paix me manque. Pour moi, comme pour des millions de mes compatriotes, les souvenirs des longs et chauds étés ukrainiens ressemblent à une vie antérieure. Il n’y a pas de paix alors que tout l’été, la seule priorité a été la contre-offensive.

Juste au cas où vous auriez réussi à vous déconnecter avec plus de succès que moi, la contre-offensive a été présentée pour le premier semestre 2023 comme la prochaine grande étape dans la libération de notre pays des envahisseurs russes. Après les succès remportés l’automne dernier dans la reprise de Kherson et l’éloignement de l’armée russe de Kharkiv, les attentes étaient grandes, tant au niveau local qu’international.

Cependant, les progrès au cours des trois derniers mois ont été, dans le meilleur des cas, lents et réguliers, sans percée majeure ni grande ville libérée. Récemment, les commentaires internationaux sur la contre-offensive sont devenus quelque peu critiques, laissant entendre qu’elle n’a pas été suffisamment énergique ou réussie.

À un certain niveau, je comprends cela. Nous savons tous à quelle vitesse le cycle de l’actualité évolue, à quelle vitesse tout le monde veut passer à autre chose. Il n’est pas surprenant que les gens souhaitent assister à des changements spectaculaires, à de grands succès et à la fin de la guerre le plus rapidement possible (nous le souhaitons également). En fait, à bien des égards, cela ressemble à un miracle que l’invasion de l’Ukraine par la Russie reçoive toujours autant de couverture internationale, 18 mois après – quand avez-vous lu pour la dernière fois un rapport sur la Syrie ou le Yémen ?

En tant qu’Ukrainien, cependant, je constate qu’il y a un aspect dont on ne parle pas beaucoup dans les commentaires internationaux. La contre-offensive n’est pas seulement une question de cartes et de géopolitique ; il ne s’agit pas seulement de reconquérir des territoires et de libérer notre peuple et nos terres de l’occupation. Franchement, cela signifie aussi envoyer des milliers de personnes à la mort.

Fin juin, le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Valerii Zaluzhnyi, a déclaré dans une interview : « Ce n’est pas un spectacle… Chaque jour, chaque mètre est donné par le sang ». Et c’est ce que nous pensons lorsque nous pensons à la contre-offensive.

Ma mère pense à un court voyage qu’elle a effectué en Ukraine plus tôt cette année, où elle a constaté que la taille du cimetière militaire avait triplé en quelques mois seulement. Mon père, toujours à Lviv, assiste à deux ou trois funérailles par jour dans l’église en face de son bureau. Je lis les nécrologies d’hommes, garçons, qui étaient plus jeunes que moi et déjà morts. Mes frères se demandent quand ce sera eux.

Les responsables de la contre-offensive doivent, d’une manière ou d’une autre, faire des choix qui inversent l’invasion russe le plus tôt possible (et avant de pouvoir construire des défenses encore plus grandes et couvrir encore plus de territoire ukrainien de champs de mines) tout en minimisant les pertes en vies humaines.

Ainsi, d’une certaine manière, le rythme de vie plus rapide qui revient en septembre est un soulagement. Cela me laisse moins de temps pour réfléchir. La vie normale des autres m’aide à garder les pieds sur terre – et moins de temps pour espérer que l’été prochain, nous recommencerons à aimer les photos de plage des autres.