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Jon Juaristi, une conscience lucide

Jon Juaristi, une conscience lucide

La poésie de Jon Juaristi a des frontières très précises : la poésie anglaise et Auden, Antonio Machado, Gil de Biedma, Ángel González, et au centre quelques gentilshommes de Bilbao nommés Ramón de Basterra, Blas de Otero, Unamuno et Gabriel Aresti. Après plus de quatre décennies d’écriture et neuf livres de poésie originaux, après une extraordinaire carrière de penseur, d’essayiste, ‘Derrotero’ réunit son œuvre poétique commencée en 1969 et rend présente à nouveau la qualité incontestable d’une voix, d’un conscience aussi lucide qu’excitante. On peut dire que ce que la poésie de Juaristi essaie de construire, c’est un personnage nommé Jon Juaristi, sa biographie réelle ou fictive, ses défaites et ses échecs, sa solitude, sa mélancolie, ses amours, sa dimension civile face à ce problème qu’on appelle le basque Pays au sein de cet autre problème appelé Espagne. Toujours dans une tonalité mineure apparente, Juaristi aime construire sa biographie par-dessus d’autres biographies, tout comme il aime construire sa voix sur l’écho d’autres voix. POÉSIE ‘Cours. Poésie 1969-2022’ Auteur Jon Juaristi Editorial Renacimiento Année 2023 Pages 377 Prix 27,90 euros 4 Loin du poète-artiste consacré par le romantisme et l’avant-garde, il préfère le poète capable de faire coexister le présent avec la tradition, l’artisan qui travaille honnêtement avec des éléments qui viennent d’autres mains. Sa poésie, pour cette raison, cherche l’authenticité dans l’imitation et est d’autant plus vraie qu’elle dialogue avec les œuvres et les modèles antérieurs. Son audace a marqué une époque : les grands poèmes modernes importaient moins que de retrouver dans le poème son niveau d’intelligibilité, de naturel. Ce que la poésie de Juaristi essaie de construire, c’est un personnage nommé Jon Juaristi Juaristi est un sentimentaliste qui utilise des jeux ironiques pour éviter de paraître sentimental, pour démystifier l’expérience quotidienne et l’expérience historique des irrationalités, pour créer une distance avec ce qui est effusif et solennel du grand et de l’essentiel sentiment. Il porte ses vers en civil car il aime parler par prénoms avec une méditation au niveau de la poussière de la vie. Battue par l’expérience du temps et de l’histoire, sa poésie réfléchit toujours, même si elle est humoristique, sur la manière de comprendre le passé émotionnellement et rationnellement et sur la manière de comprendre la mémoire personnelle et morale. On voit dans ‘Derrotero’ un Juaristi qui règle toujours ses comptes, qui remet à une heure nouvelle sa lecture de la tradition lyrique : un vieux ménestrel lui semble plus avant-gardiste qu’un jeune poète protégé par le surréalisme. Dans une défaite qui n’est pas étrangère à Gabriel Ferraté (et à Gil de Biedma sur les traces de Ferraté), il faut insister pour établir chez Juaristi ses liens avec la poétique médiévale, avec l’épopée et les ballades. Dimension éthique Comme les poètes médiévaux, Juaristi se soucie de contrôler la distance entre le monde et l’observateur, et d’écrire de manière précise et efficace en transmettant des expériences que chacun peut partager. C’est pourquoi il fait de la poésie des valeurs de bonne prose et fait de son regard sur le monde une critique, un portrait de sa dimension éthique. Juaristi est sans aucun doute un luxe de notre culture. Sa lucidité lorsqu’il s’agit d’écrire et de penser les dilemmes de notre temps est à la hauteur de son immense talent. “Derrotero”, pour cette raison, n’est pas seulement un livre de tous ses poèmes, c’est aussi un livre de toutes ses consciences. Un livre plus grand, le journal d’un homme où chaque mélancolie, chaque échec moral, chaque fiction peut produire une catégorie de courage.

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