Depuis le début de la contre-offensive, l’Ukraine n’a pas réussi à reconquérir de vastes territoires. Peut-on dire que l’attaque a échoué? L’Occident est-il en train de perdre de sa force ? Patrick Diekmann interroge Gustav Gressel, un expert russe en affaires militaires, sur les erreurs commises par l’Ukraine et ce que Vladimir Poutine devrait en tirer comme conclusion.
Pour le moment, l’Ukraine n’a réussi qu’à reprendre de petites portions de son territoire cet été. Peut-on dire que la contre-offensive ukrainienne a échoué ?
Gustav Gressel : Elle ne sera considérée comme un échec que si l’Ukraine décide de l’annuler ou si l’offensive s’arrête sans explication. Mais il est vrai que de plus en plus de doutes se font sentir quant à la capacité de l’Ukraine à atteindre ses objectifs opérationnels.
Y a-t-il donc encore une chance théorique de percée dans cette offensive de l’armée ukrainienne ?
Je ne partage pas le pessimisme ambiant actuellement. Il y a encore une chance que l’Ukraine puisse libérer de vastes portions de son territoire. Mais il y a aussi beaucoup d’incertitudes que nous ne pouvons pas évaluer correctement car les chiffres exacts ne nous sont pas connus. “Quelle est l’étendue des pertes ukrainiennes? Quelles sont les réserves de personnel et de matériel dont elle dispose ?” Les Russes tentent à nouveau de lancer une offensive. Il est donc également crucial que l’Ukraine puisse gérer la longueur énorme du front pendant l’hiver.
Le président Volodymyr Zelensky pourrait-il politiquement annuler purement et simplement la contre-offensive ?
C’est ce que je prévois. Du moins pour cette année, car il semble que cette guerre puisse se prolonger. L’Ukraine doit également tirer les bonnes leçons de ces derniers mois. L’année prochaine, une nouvelle offensive pourrait être lancée différemment.
Pourquoi cela est-il important ?
La guerre est un processus d’apprentissage permanent. Les Russes ont appris à se défendre. Notamment parce que leur offensive hivernale avait échoué. Cela pourrait également s’appliquer à l’Ukraine, même si nous n’en sommes pas encore là pour le moment. Dans les semaines à venir, Kiev continuera de tenter de s’approcher des lignes de défense russes et de les percer. Mais même si ça fonctionne, l’Ukraine en tirera des leçons pratiques.
Quelles erreurs l’Ukraine a-t-elle commises lors de cette contre-offensive ?
Je ne comprends pas pourquoi l’armée ukrainienne a concentré ses efforts sur des endroits où la défense russe est très dense. D’autres faiblesses sont le résultat de la guerre : l’armée ukrainienne s’est considérablement développée depuis le début de l’invasion russe. “Beaucoup de soldats n’ont aucune expérience militaire et les instructeurs expérimentés sont souvent allés combattre et ont été tués.” Il est donc difficile de maintenir la qualité des unités à un niveau élevé. De plus, l’Ukraine a équipé de nouveaux bataillons avec du matériel de guerre moderne provenant de l’Ouest. La courbe d’apprentissage a été trop abrupte, ce qui a entraîné des erreurs tactiques.
Vous avez l’air pessimiste quant à la contre-offensive ukrainienne. L’Occident commence-t-il à perdre patience ?
La situation est tendue, surtout pour moi et mes collègues qui avons beaucoup fait pression pour les livraisons de Leopard. Jusqu’à présent, l’impact sur le conflit a été relativement faible et les critiques disent que nous avions tort. Avions-nous tort ?
Non, quelle aurait été l’alternative ? L’Ukraine est attaquée par la Russie et subit de lourdes pertes. Elle a donc besoin de matériel de guerre blindé et les réserves d’équipement soviétique de l’Europe de l’Est s’épuisent. “Le problème est que l’OTAN est assez lente pour se procurer du matériel lourd et l’approvisionnement en munitions est précaire.” Il est donc préférable que l’Occident réfléchisse dès maintenant à la production et à l’approvisionnement si la guerre se prolonge. Les Léopard 1 que l’Allemagne livre sont la moins mauvaise des solutions.
L’Occident est-il en train de s’essouffler ?
De nombreux pays occidentaux semblent penser que la guerre sera bientôt terminée. C’est une erreur. Le chancelier allemand Olaf Scholz l’a dit lui-même : “Poutine doit se rendre compte que cette guerre ne mène à rien du point de vue de l’Occident.” Les efforts militaires servent à obtenir une meilleure position de négociation avec la Russie. C’est une erreur fondamentale d’appréciation qui a conduit à ce que l’Ukraine ne soit pas armée plus rapidement et à ce qu’elle ne remporte pas de victoires tangibles sur le champ de bataille. Nous avons un problème et il grandit chaque jour où nous ne faisons rien.
Mais la pression sur Kiev pour négocier avec Poutine pourrait-elle augmenter ?
Négocier quoi et avec qui ? La Russie ne veut pas négocier, Poutine veut gagner. Il dirait à Zelensky que l’armée ukrainienne doit se rendre sans condition. La Russie occuperait le pays et les dirigeants ukrainiens devraient fuir. Poutine annexerait la moitié du pays et le reste deviendrait un État fantoche. Il est absurde de penser que Zelensky pourrait être forcé de négocier dans une telle situation. Poutine veut gagner et si l’Occident continue ainsi, il pourrait bien y parvenir.
Poutine se sent-il renforcé par le déroulement actuel de la contre-offensive ukrainienne ?
Sans doute, oui. Poutine lance maintenant ses propres offensives en Ukraine. Cela montre qu’il se sent en sécurité. Tant que la contre-offensive ukrainienne ne réussit pas à percer, les dirigeants russes n’ont pas besoin de se remettre en question et se sentiront confortés dans leur volonté de poursuivre la guerre. “La Russie a réussi à convertir son économie en économie
