L’industrie du tabac utilise le journalisme pour influencer l’opinion publique sur la politique antitabac et pour bloquer de nouvelles mesures, explique Nikita Poole. Selon elle, les médias ne devraient pas participer à cela.
L’industrie du tabac vend des produits hautement addictifs et souvent mortels. Malgré la connaissance généralisée des dommages causés par l’industrie du tabac, ses tactiques de lobbying réussissent toujours.
Elle utilise également le journalisme pour influencer l’opinion publique sur la politique antitabac afin d’empêcher, de retarder ou d’affaiblir de nouvelles mesures. Il est inquiétant de constater que l’industrie se voit si facilement offrir une plate-forme dans nos médias. Les gardiens des médias doivent se demander s’ils veulent en rester là. En offrant une plate-forme à l’industrie du tabac, vous la soutenez.
Étant donné que les Pays-Bas ont signé un traité antitabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2005, les contacts entre le gouvernement et l’industrie du tabac doivent être limités et totalement transparents afin d’empêcher l’industrie du tabac d’influencer la politique de santé. La commercialisation du tabac est également interdite depuis vingt ans. Les médias sont donc l’un des derniers canaux permettant à l’industrie du tabac d’atteindre les politiciens et le public.
Recherche
Dans une recherche récemment publiée (Poole et al., 2023), nous montrons comment trois mesures antitabac importantes ont été rapportées dans les dix plus grands journaux nationaux des Pays-Bas sur une période de deux ans. Il s’agissait d’une augmentation des droits d’accises (1 euro par paquet), d’emballages neutres pour les produits du tabac et d’une interdiction d’étalage dans les supermarchés.
Lorsqu’elles ont été introduites dans d’autres pays, ces mesures ont fait l’objet d’une large couverture médiatique et se sont heurtées à une résistance considérable de la part de l’industrie du tabac. Aux Pays-Bas, le lobby du tabac a réussi à retarder et affaiblir ces mesures grâce au VVD (Luimes et al., 2020). De cette façon, la réalisation d’une génération sans fumée en 2040 a été compromise.
Augmentation des droits d’accise
Nos recherches montrent que l’industrie du tabac utilise une variété d’arguments contre les mesures, dont beaucoup ne correspondent pas à la réalité. Prenons, par exemple, l’argument selon lequel une augmentation des droits d’accise ne fonctionne pas parce que les gens continuent de fumer, alors que nous savons depuis longtemps qu’une augmentation des droits d’accise est précisément la mesure antitabac la plus efficace.
Un autre argument régulièrement avancé est que ce devrait être le libre choix des adultes de fumer ou non. Qu’il s’agisse d’un « libre choix » n’est cependant pas confirmé par les connaissances scientifiques, qui montrent que le tabagisme est une grave dépendance.
De plus, l’industrie utilise ce que l’on appelle groupes avant – d’autres instances plus crédibles pour présenter leurs arguments. En se rendant publique de cette manière détournée, l’industrie du tabac tente non seulement de sauver sa réputation, mais cette tactique donne également l’apparence d’un large soutien.
Inquiétant
Le fait que le lobby de l’industrie du tabac continue de réussir à diffuser ses arguments dans des journaux à portée nationale est inquiétant. Parce que la recherche montre que les médias ont une grande influence sur la formation de l’opinion publique et de la politique. Avec l’essor des e-cigarettes et autres produits alternatifs, l’industrie du tabac saisit une opportunité pour améliorer son image. Elle se positionne comme faisant partie de la solution, comme une industrie désireuse d’aider à résoudre un énorme problème de santé. Ceci tout en continuant à vendre des cigarettes et d’autres produits pour fumeurs dans le monde entier et en continuant à s’opposer aux politiques visant à réduire le tabagisme.
Heureusement, le tabagisme et l’industrie du tabac deviennent de moins en moins normaux et c’est également nécessaire si nous voulons parvenir à une génération sans fumée. Nous nous dirigeons vers une société où les produits du tabac seront plus difficiles à obtenir et où les enfants ne seront plus exposés quotidiennement au tabac.
En prenant fermement position contre le lobby du tabac et en ne lui donnant pas de tribune dans les médias, nous promouvons l’idée qu’il ne s’agit pas d’une industrie normale et que non seulement ce qu’il vend, mais aussi ce qu’il dit peut être nocif.
Nikita Poole est doctorante à l’Université de Maastricht (CAPHRI) et à l’IVO Research Institute
