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HISTOIRE. Alors que la Grande Guerre se termine, les Corses doivent livrer un nouveau combat contre une maladie mortelle

HISTOIRE. Alors que la Grande Guerre se termine, les Corses doivent livrer un nouveau combat contre une maladie mortelle

Produit médicamenteux, le ” sucre ” des pharmaciens arrive au compte-gouttes à cause de la carence des transports. Alors que la Grande Guerre se termine, les Corses doivent livrer un nouveau combat contre une maladie mortelle, la grippe espagnole

Novembre 1918. La guerre touche à sa fin, mais la sombre litanie des « morts au champ d’honneur » continue d’endeuiller la Corse déjà si durement touchée. La population insulaire manque de tout. Le député Adolphe Landry souligne l’impérieuse nécessité d’assurer « avec des services rapides le transport passagers entre Nice et les ports de l’île, et le transport de marchandises par cargo entre Marseille et la Corse ». L’insuffisance des rotations génère une pénurie de ravitaillement qui s’avère particulièrement dramatique dès lors qu’elle touche les médicaments. Car à l’épreuve terrible de la guerre est venu s’ajouter un nouveau fléau, une épidémie de grippe espagnole qui affecte les organismes affaiblis par les privations, frappant notamment le milieu rural. Les premiers cas sont signalés dès l’été 1918, à Sartène, Levie, le foyer le plus important se situant à Corte, où l’on dénombre les premiers décès en les imputant d’abord à un retour du choléra.

Après quatre années de combats, une lueur d’espoir, la perspective d’une victoire est dans l’air. Lors de la séance du conseil municipal de Bastia le 7 octobre, le premier adjoint Lucien Dapelo, très applaudi, adresse « l’hommage de notre plus profonde reconnaissance au Gouvernement et à son Président, M. Georges Clemenceau qui, toujours dans la fournaise, poursuit sans trêve la conduite de la guerre, régénère les esprits et organise la victoire finale ».

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Mais dans l’immédiat, la Corse doit faire face à une maladie insidieuse qui mobilise les pouvoirs publics, ainsi que tous les agents sanitaires, médecins et pharmaciens. Or, la désorganisation des transports entre Corse et continent perturbe le traitement de la maladie qui nécessite l’emploi du « sucre des pharmaciens », produit différent du sucre domestique et dont l’approvisionnement se tarit. À Ajaccio, le 17 octobre, une pharmacie a dû fermer, faute de sucre. Allain, préfet de la Corse, tient l’opinion informée de la situation par voie de presse : « Depuis que la grippe sévit à Ajaccio, plus de quatre cents kilos de sucre ont été distribués en ville aux familles malades sur présentation de certificats du médecin, 465 kg de sucre ont été envoyés dans les communes les plus atteintes de l’arrondissement. » Toutefois, le préfet appelle les médecins à la prévoyance, et les familles bénéficiaires à faire « tous leurs efforts pour économiser le plus possible la ration qui leur est donnée ».

La population inquiète cherche des explications à ce nouveau mal implacable et contagieux. Dans la plupart des cas, la grippe espagnole – ainsi dénommée car l’Espagne est le premier pays à l’avoir reconnue officiellement – s’avère fatale pour des sujets déjà affaiblis par des maladies déjà installées comme la tuberculose ou la broncho-pneumonie. Le corps médical est formel. C’est l’inobservance « des mesures les plus élémentaires d’hygiène et de propreté » qui favorise la propagation du mal.

Cloaques dans les cours d’immeubles et services sanitaires débordés

Édifiant à cet égard, le rapport du médecin major Monard sur l’attitude irresponsable de certains : « Dans une petite commune de Corse, un homme meurt de la grippe, mais on attend un proche parent pour l’enterrer. À son arrivée, on ouvre le cercueil et toute la famille se précipite sur la dépouille pour l’embrasser. Neuf personnes contracteront ainsi une grippe mortelle. Le jour même ont lieu les obsèques. Dans l’église où s’est déroulée la cérémonie funèbre, les fidèles se rendent en masse pour assister aux offices religieux. Deux ou trois jours plus tard, 600 personnes sur une population de 1 100 habitants, contractent une pneumonie. Bilan : 54 décès. Réminiscence de la théorie miasmatique, la rumeur voudra que sur le parcours du convoi funèbre, se soient dégagées les émanations putrides qui ont empoisonné la ville. » (1)

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Le manque d’hygiène est particulièrement visible dans les cours d’immeubles et certaines ruelles transformées en cloaques par les ordures ménagères qui s’y entassent par strates nauséabondes. Les services sanitaires sont débordés, car outre les mesures urgentes à mettre en place, il leur faut faire œuvre de pédagogie envers des populations peu sensibles aux injonctions des scientifiques.

Or, un décret de 1903 oblige les médecins à déclarer les cas de grippe dans le département de la Corse, déclaration entraînant des mesures prophylactiques immédiates que tout un chacun est tenu de respecter sous peine de poursuites. À savoir : isolement complet du malade, désinfection de ses linges et des objets qu’il a touchés, ainsi que des locaux après la guérison ou le décès, afin d’éviter toute contagion.

Face à l’étendue de l’épidémie, les commissions sanitaires se réunissent sans désemparer et les médecins militaires viennent épauler les médecins civils. Mais le décret de 1903 portant sur la santé publique reste inopérant, si aucun effort n’est fait sur le plan de l’hygiène, et si certaines habitudes néfastes ne sont pas corrigées. Un article du « Colombo » illustre l’ampleur du phénomène et de la tâche à accomplir : « Ne jamais laisser d’immondices dans les cours et perdre cette affreuse habitude de jeter quoi que ce soit par les fenêtres. »

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Or, cinq ans après, ces regrettables habitudes perdurent, ainsi qu’en témoigne le Bulletin du Bureau d’hygiène de Bastia, faisant état de 581 avis obligeant à une mise en conformité avec le règlement sanitaire, adressés aux habitants pour la seule année 1923 ! Dans le rapport on peut lire : « Trop souvent nous nous sommes heurtés à l’indolence et surtout au mauvais vouloir de beaucoup de propriétaires, nous avons dû sévir contre 37 d’entre eux qui s’obstinaient à ne tenir aucun compte de nos mises en demeure réitérées. » Le même rapport n’épargne pas les services communaux, préconisant une refonte complète du service de nettoiement avec un nouveau cahier des charges.

La grippe espagnole a disparu un jour aussi mystérieusement qu’elle était arrivée.

Quatre années de guerre et une épidémie ont porté un coup fatal à l’économie et à la démographie de la Corse. Sur le plan épidémique, « pour l’île tout entière, on dénombrera 1 500 morts. » (2)

(1) Pierre Darmon. Une tragédie dans la tragédie. La grippe espagnole en France. Persée. (2) Jean-Raphaël Cervoni. Dictionnaire historique de la Corse. Albiana.

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