2024-03-22 09:53:40
La légende de la torture rituelle et du meurtre des enfants chrétiens
Par un ouvrage volumineux, un moine du XIIe siècle a voulu prouver que Guillaume de Norwich était victime des rituels juifs. Bien que les autorités ecclésiastiques et laïques l’aient contredit, le conte de fées a eu un effet dévastateur.
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DWilliam, douze ans, était apprenti chez un fourreur à Norwich, dans l’est de l’Angleterre, lorsque son triste sort lui arriva le 22 mars 1144. Il a été attiré dans une maison le mardi saint en lui proposant de raccommoder des fourrures moyennant des frais. Là, il a été attaché et torturé et finalement placé dans un cadre en bois, les bras tendus, pour que ça ressemble à une crucifixion.
Après avoir été torturé à mort, le jeune William fut enterré dans une forêt voisine. Le samedi saint, un miracle de lumière a attiré l’attention sur ce lieu étrange. Le mort a été exhumé. Lorsqu’il fut transféré dans un monastère un mois plus tard, les gens furent étonnés de l’intégrité de son corps et du « parfum céleste » qui émanait de lui.
C’est ainsi que le décrit le bénédictin Thomas de Monmouth entre 1150 et 1172/73 dans son ouvrage « Vie et passion du martyr Guillaume de Norwich », dont un seul exemplaire a survécu à la bibliothèque universitaire de Cambridge. Bien que le moine ait diffusé ses prétendues connaissances en sept volumes, ni l’Église ni les autorités laïques n’ont voulu suivre sa présentation et ont refusé de le reconnaître. Néanmoins, les souffrances présumées de Guillaume de Norwich ont un impact dévastateur, car elles sont considérées comme l’origine de toutes les légendes de meurtres rituels avec lesquelles les Juifs ont été diffamés et persécutés depuis le Moyen Âge.
Puisqu’aucune source contemporaine ne fait état de la vie de Guillaume, mais que sa passion n’est connue qu’à travers l’œuvre de Thomas, la période autour du milieu du XIIe siècle est la clé de l’histoire. À cette époque, le christianisme occidental devait digérer l’échec de la deuxième croisade, qui lui avait fait comprendre que Dieu n’était apparemment pas satisfait de ses disciples. Après la perte du comté d’Edesse au profit des musulmans, Louis VII de France et le roi Staufer Conrad III. a tenté de porter secours aux États croisés assiégés, mais a lamentablement échoué.
Il fallait donc de nouveaux saints, mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Parce que l’Europe est devenue depuis longtemps un continent chrétien, les martyrs sont naturellement devenus rares, écrit l’historien Friedrich Lotter dans une étude de la légende médiévale du meurtre rituel. Ils ont donc eu l’idée de gagner les martyrs d’une autre manière. Cela a mis en jeu les Juifs, un groupe qui était déjà généralement soupçonné en raison de son rôle dans l’histoire de Pâques et qui était à plusieurs reprises la cible de l’hostilité.
Ce n’est pas pour rien que Thomas de Monmouth permit à Guillaume de subir le martyre pendant la Semaine Sainte. Il a été attiré dans cette étrange maison par un messager de la communauté juive. Le samedi saint, un « visage de rêve » aurait informé la mère de William du sort de son fils. A l’occasion de la Pâque, les Juifs ont conspiré pour sacrifier un jeune chrétien pour se venger de leur bannissement afin de retrouver la liberté et la patrie, écrit le Bénédictin, faisant référence à des rumeurs grossières en provenance d’Espagne.
Avec des propos violents, Thomas a fustigé les autorités – le roi Stephen et le shérif responsable d’East Anglia ainsi que les évêques Everard et William, dans le district desquels se trouvait Norwich – pour ne pas avoir suivi ses arguments convaincants de preuves circonstancielles. Même si un procès fut intenté contre les Juifs, la procédure fut rapidement arrêtée, même si des dizaines d’appels de feu Guillaume avaient fait des merveilles et démontraient ainsi la plausibilité de son rapport. Le pauvre Guillaume de Norwich était victime de méchanceté et d’envie.
Contrairement aux excès anti-juifs ultérieurs, les autorités n’avaient apparemment pas encore perdu leur bon sens. Cela peut aussi avoir quelque chose à voir avec le motif que l’on retrouve dans les volumes de Thomas de Monmouth. Car le moine avait le souci de doter sa paroisse d’un nouveau saint qui serait bon non seulement pour les miracles, mais aussi pour d’importants revenus matériels provenant des pèlerinages et des fondations, sans parler des bénéfices séculaires du tourisme.
Les conséquences de cette « propagande sectaire », comme Friedrich Lotter appelle le projet de Thomas, furent horribles. Malgré les objections des autorités compétentes et de la haute Église, la légende du meurtre rituel a été largement diffusée dans « le niveau inférieur de la littérature religieuse vulgaire ». Bientôt, ce fut aussi sur le continent, en France et en Allemagne, Les Juifs ont été blâméskidnappant, torturant et assassinant des enfants chrétiens pour leurs rituels sanglants à Pâques.
Les contes de fées sur la profanation de l’hostie étaient dans la même veine. Ensuite, les Juifs volaient des hosties dans les églises puis les transperçaient avec des couteaux afin de profaner une seconde fois le corps du Christ. L’historien Michael Brenner écrit : « Bien que les papes, les empereurs et les rois aient souligné à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas croire à de telles calomnies, le bas clergé et les masses s’accrochaient souvent à une telle croyance fausse. »
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