Suite aux effets boule de neige et papillon, se pourrait-il qu’il y ait un effet fourmi? Des chercheurs viennent d’ailleurs de mettre en lumière comment l’invasion d’une espèce envahissante de fourmis a perturbé l’écosystème fragile de la savane et les habitudes alimentaires des lions au Kenya.
Souvent nous constatons que le monde est régi par de toutes petites choses qui peuvent avoir des effets dévastateurs que nous n’avions pas anticipés
souligne Todd Palmer, professeur à l’Université de Floride, un des auteurs de cette étude publiée cette semaine dans la revue Science (Nouvelle fenêtre) (en anglais).
Des lions observent la savane à partir d’un acacia.
Photo : iStock / DEBOVE SOPHIE
Tout a commencé il y a 15 ans dans les vastes plaines de Laikipia, au Kenya. L’endroit est couvert par des acacias siffleurs, une espèce d’arbres autour desquels s’est instauré un équilibre harmonieux entre les différentes espèces.
Une fourmi locale a établi son nid, devenant ainsi le protecteur de cet arbre. Malgré ses épines, l’acacia serait autrement dévoré par les herbivores locaux, en particulier les éléphants, qui sont repoussés par les phéromones et les piqûres de la colonie d’insectes.
L’arrivée de la fourmi à grosse tête
Cette collaboration fructueuse a été brisée par l’introduction, menée par l’activité humaine, de la fourmi à grosse tête, qui a rapidement évincé les autres fourmis de l’acacia, le rendant de nouveau vulnérable aux pachydermes.
Au départ, personne n’a vraiment remarqué ces fourmis, car elles ne sont pas agressives envers les grosses créatures, y compris les humains
note M. Palmer.
Nous constatons à présent qu’elles modifient subtilement les paysages, avec des effets dévastateurs.
Des études antérieures ont montré que l’arrivée de cette espèce envahissante a provoqué cinq à sept fois plus de dommages causés par les éléphants aux acacias de la région, réduisant ainsi la couverture forestière.
Or, cette dernière était également un élément crucial dans la stratégie de chasse des lions, qui pouvaient, grâce aux feuilles des arbres, créer un effet de surprise, essentiel pour capturer leurs proies favorites, les zèbres.
L’étude menée sur trois ans à La Conservation des vieux arbres du Kenya a comparé les zones envahies par les fourmis à grosse tête avec celles qui ne l’étaient pas, montrant que l’arrivée de ces fourmis a entraîné une diminution de trois fois des attaques mortelles des lions sur les zèbres.
Au lieu de faire diminuer les populations de félins faute de nourriture, ces derniers ont au contraire adapté leur régime en se tournant vers les buffles. Bien que plus difficile à capturer, ces derniers ne réduisent pas pour autant l’alimentation des lions.
C’est plutôt une bonne nouvelle, car les populations de lions sont restées stables, même après tous les effets en cascade qui se sont produits
, explique Douglas Kamaru, l’auteur principal de l’étude.
Mais la question est de savoir ce qui se passera à l’avenir
si un autre bouleversement survient, sachant que la présence des lions dans la région a fortement diminué, passant de 100 000 à 2000 individus, et que le changement de régime alimentaire pourrait également entraîner une série de conséquences inattendues.
De plus, même si la nature est intelligente
et que les lions ont trouvé une stratégie d’adaptation efficace pour le moment, les fourmis à grosse tête pourraient également poser problème à d’autres espèces qui dépendent de l’acacia siffleur, telles que les girafes ou le rhinocéros noir, en danger critique d’extinction, souligne l’étude.
Au-delà des fourmis, ces risques sont réels. L’an dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (IPBES) a recensé plus de 37 000 espèces exotiques établies loin de leur territoire d’origine. Parmi elles, 3 500 sont considérées envahissantes, causant de graves dommages à la biodiversité.