Deux-Sèvres : chocolatine dans le sud et pain au chocolat dans le nord

Deux-Sèvres : chocolatine dans le sud et pain au chocolat dans le nord

Une boulangerie dans les Deux-Sèvres se distingue par une singularité. Ici, on ne vend pas de pains au chocolat, cette ô combien délicieuse viennoiserie croustillante, beurrée et chocolatée. À la boulangerie Gudin d’Argenton-l’Église, dans le Thouarsais, on ne trouvera que des chocolatines !

Deux appellations pour un même produit qui ont suscité un véritable ramdam quand la femme du boulanger, originaire du sud de la France, de Tarbes, s’est amusée à accoler les deux étiquettes : « chocolatine » à 1,15 € et « pain au chocolat » à 5 €. L’écriteau « pain au chocolat » est généralement dans la réserve, « on le ressort de temps en temps pour rigoler » s’amuse l’employée.
Enquêtes participatives

Car dans les Deux-Sèvres, à la très grande majorité, on dit « pain au chocolat » même si, au sud du département, la « chocolatine » gagne du terrain, comme en témoigne Emmanuel Gripon, boulanger à Melle et représentant de la profession.

Amusé par ces appellations régionales parfois très différentes en France pour désigner un même objet, le linguiste Mathieu Avanzinatif de Chambéry, a décidé de s’y pencher en 2015 avec le plus grand sérieux à travers des enquêtes participatives.

Succès immédiat, notamment dû à la question « pain au chocolat/chocolatine », comme il l’explique avec un enthousiasme intact depuis la Suisse où il enseigne actuellement. Le sujet a suscité intérêt, curiosité, débats passionnés et beaucoup de rires en découvrant les mots ou expressions colorés utilisés d’un bout à l’autre de l’Hexagone. Chacun est d’ailleurs toujours invité à enrichir la base de données, notamment à travers la nouvelle appli.

« Le département des Deux-Sèvres est une zone tampon »

De toutes ces données ont été établies des cartes. D’où il ressort que si l’appellation est très tranchée dans certains départements, tout « pain au chocolat » ou tout « chocolatine », ce n’est pas le cas des Deux-Sèvres, aux confins de deux influences, traversé par les deux appellations. « Le département des Deux-Sèvres est une zone tampon, un peu avec des influences venues du sud et du nord » observe-t-il.

Alors sans discussion, sur la carte des Deux-Sèvres, c’est le « pain au chocolat » qui l’emporte haut la main, dans le centre et au nord. Au sud, « on voit, dans les Deux-Sèvres, que c’est le point le plus en bas, dans la région de Niort, où il y a le plus de chocolatines », observe Mathieu Avanzi. « 32 % des gens qui ont grandi dans l’arrondissement de Niort disent chocolatines. Il y a peut-être des gens originaires de Niort dont les parents ont vécu plus au sud » (1).

“0 % de chocolatine” dans l’arrondissement de Parthenay

En revanche, à remonter dans les Deux-Sèvres, « dans les deux autres arrondissements de Parthenay et Bressuire, il n’y a quasiment zéro chocolatine. C’est typique des zones de transition ». Dans l’arrondissement de Parthenay, « on voit 0 % de chocolatine » sur vingt participants. Quant à celui de Bressuire, « 5 % des répondants disent chocolatines ». Celui-ci englobant Thouars, le linguiste s’amuse de l’anecdote avec la boulangerie thouarsaise (qui en fait partie) : « Cela explique peut-être qu’on trouve un peu de chocolatines dans l’arrondissement de Bressuire ! »

(1) Les enquêtes demandent aux « répondants » où ils ont vécu la plus grande partie de leur jeunesse. 43 personnes ont répondu pour l’arrondissement de Niort ; 40 pour celui de Bressuire et 20 pour celui de Parthenay.

« Je pense que c’est la chocolatine qui va gagner ! »

Le regard d’Emmanuel Gripon, boulanger dans les Deux-Sèvres à Melleavec ses casquettes de président départemental et régional de la fédération des boulangers et vice-président national, est particulièrement intéressant. « Bon, cette histoire d’appellation, c’est plus un amusement qu’autre chose », lance-t-il d’emblée.

Le Deux-Sévrien n’a pas l’ombre d’une hésitation : « Moi, je suis originaire de la Touraine. C’est clair, je fabrique des pains au chocolat » dans sa boulangerie de Melle. « Mais à vue de nez, je dirais qu’à 60 %, les clients me demandent des chocolatines. » Sans que cela ne suscite d’incompréhension. Au contraire. « Franchement, c’est sans importance. C’est même plutôt amusant. »

Mais alors, quand le président départemental de la fédération de la boulangerie des Deux-Sèvres revêt sa caquette de président régional de Nouvelle-Aquitaine, avec un sud-ouest très « chocolatine », qu’en est-il ? « En fait, entre professionnels, on parle de viennoiseries donc ce n’est pas un problème. »

Et dans les instances nationales où il vient d’être élu premier vice-président de la confédération nationale de la boulangerie ? « À Paris, c’est le pain au chocolat sans hésiter. »

Reste que pour le boulanger mellois, « je pense qu’à long terme, la chocolatine va gagner. Déjà, le genre est féminin. C’est plus agréable, romantique de dire une chocolatine qu’un pain au chocolat. D’ailleurs, les enfants disent plus chocolatine ! ».

Certains ne plaisantent pas avec le pain au chocolat (ou manquent d’humour)

À la boulangerie Gudin à Argenton-l’Église, le mot écrit, c’est donc “chocolatine”, ramené du sud d’où est originaire madame. Et quand elle place parfois à côté « pain au chocolat » avec un prix cinq fois plus élevé, c’est pour rigoler, car tout le monde paye le même prix.

Si la blague fait sourire en magasin, ce n’est pas toujours le cas sur le web. En témoignent des avis en ligne sur la boulangerie : « Restez dans votre région si vous voulez parler de chocolatines. Ici on dit pain au chocolat. » Ou encore : « Chocolatine ?… Désolé, je ne parle pas anglais ! » et « S’ils vendent des chocolatines où sont passés les raisintines ? » Certains parlent de « vol » ou s’interrogent sur la légalité de cette différence de prix…

Une belle démonstration qu’il est toujours mieux d’engager une conversation que de se fendre d’un commentaire erroné derrière son ordinateur.

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