Ferrara est le modèle de la Ligue pour l’Émilie-Romagne. La ville de 135 000 habitants, paysage intellectuel et culturel de la gauche italienne, théâtre des romans de Giorgio Bassani et lieu où le fascisme s’est le plus fortement implanté, est passée aux mains de la Ligue en juin dernier. La gauche avait régné ici pendant 73 ans. Mais le parti de Salvini a su trouver un jeune candidat, aux cheveux longs, à l’aisance intellectuelle et au discours articulé sur la culture. Alan Fabbri a joué d’autres clés comme la sécurité, l’immigration et les banques. Et la musique qui parcourt l’Italie retentit.
Demander. A quoi attribuez-vous votre victoire historique ?
Répondre. La démocratie a choisi de nous donner la possibilité d’être une alternative à un système dans lequel la gauche a régné pendant 73 ans. Dans cette logique d’alternance c’est une victoire importante qui nous procure un grand bonheur et nous responsabilise.
P Ce n’est pas votre ville industrielle typique désenchantée par la gauche où la Ligue se déchaîne.
R J’ai grandi dans ce pays, où admettre que tu étais de la Ligue il y a 20 ans n’était pas facile. Mais la gauche d’alors n’est plus celle du Parti démocrate (PD), son électeur ne s’y reconnaît plus. Nous nous sommes beaucoup concentrés sur la sécurité, car il y a des quartiers à Ferrare où il y a de sérieux problèmes. De plus, à cause du PD et de Renzi, nous avons eu un décret d’épargne bancaire qui a modifié la Caisse d’épargne de Ferrara et 32 000 personnes, y compris des actionnaires et des obligataires subordonnés, ont perdu leur argent. Les électeurs nous ont récompensés d’être proches d’eux, de les écouter et de rechercher les interventions dont notre territoire a besoin.
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P La gauche a également proposé des choses similaires.
R La gauche est retranchée à l’intérieur du palais avec une logique quasi féodale de transmission du pouvoir. Jusqu’à récemment, il était impensable que vous puissiez gagner.
P Ferrare est un bastion intellectuel et culturel de la bourgeoisie de gauche.
R C’est une ville avec une histoire et une culture très importante. Mais les Administrations précédentes se sont retranchées derrière certaines valeurs qui ne correspondent plus à ce qu’on leur demande. Quand un maire dit que la sécurité n’est pas un problème mais une perception, les gens qui vivent dans des quartiers contrôlés par la mafia nigériane, où ils trafiquent, se battent et volent… ne comprennent rien.
P Seriez-vous allé appeler l’interphone d’un Tunisien que les voisins pointent pour avoir soi-disant vendu de la drogue, comme l’a fait Salvini ?
R Écoute, je n’ai rien vu aux infos. J’ai été impliqué dans d’autres choses pendant deux jours. Mais c’est la troisième fois que je suis maire, je l’ai fait dans une autre ville. Et le mien n’est pas un vote de protestation, mais plutôt que nous l’avons mérité en créant une classe dirigeante digne de ce territoire.
P Vous dormez avec une copie de Le receveur dans le seigle sur la table de chevet et non avec la Bible, comme beaucoup de ses pairs. Peut-être que cela aide.
R Il existe un préjugé répandu selon lequel seule la gauche pourrait s’exprimer culturellement. J’ai beaucoup souffert de l’adolescence à aujourd’hui, car il y a 20 ans, se proclamer dans la Ligue signifiait être agressé, dénigré et exclu.
P Pensez-vous qu’il est possible pour les gens de gauche de voter pour la Ligue aujourd’hui ?
R Mon grand-père était un partisan blanc, ma mère est issue d’une famille communiste de Modène où ma grand-mère était analphabète, mais ils avaient L’unité sur la table tous les jours. Le monde a changé et aujourd’hui associer au PD ceux qui se sont battus contre le fascisme ou pour la liberté est une erreur que je ne ferais pas. Le PD d’aujourd’hui n’exprime plus que la gauche qui vote pour la Ligue sur des questions comme la réforme des retraites ou la défense de l’emploi.
P A vous écouter, au-delà de la question de l’immigration, on dirait que vous êtes le candidat de la gauche.
R Je laisse les conclusions aux autres. Je crois beaucoup aux valeurs et aux individus. Chacun peut être ce qu’il veut. J’ai eu des gens dans mon conseil d’administration qui se considéraient comme étant de gauche.
P Si vous gagnez la Ligue, cela devrait-il avoir des répercussions à Rome ?
R Je crois que des élections devraient être déclenchées. Aussi si la gauche gagne par une petite marge. Regardez, c’est le territoire d’origine de la plupart de la classe dirigeante du PD. Ce serait un grand tournant et démocratiquement pertinent pour combattre les stéréotypes.
P Le combat entre les deux candidats a un invité surprise : les Sardines. Pensez-vous qu’ils vont influencer?
R Ils sont si gentils, on dirait qu’on retourne à l’école. L’Italie est le seul endroit au monde où les gens manifestent contre l’opposition et non contre le gouvernement. Et regardez, ils sont un retombées du PD et n’articulent aucun discours. Je leur ai demandé de se rencontrer lorsqu’ils sont venus à Ferrare pour parler du territoire, mais ils ont refusé car dans leur imagination je suis un fasciste xénophobe.