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Délai déraisonnable : l’affaire du CE d’Air France annulée 22 ans après pour les lenteurs de la justice.

Délai déraisonnable : l’affaire du CE d’Air France annulée 22 ans après pour les lenteurs de la justice.

Sur les quatre prévenus, deux sont décédés et ceux qui restent ne sont plus en grande forme. Triple pontage pour le plus jeune, 73 ans, un début de maladie d’Alzheimer pour le second, 82 ans, a annoncé son avocat Me Dominique Inchauspé au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) appelé à juger ces anciens membres du comité d’entreprise (CE) d’Air France, pour des faits présumés d’escroquerie.

Le procès n’a pas eu lieu et le tribunal a même annulé la procédure, donnant raison aux avocats de la défense, se prévalant de la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle prévoit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ».

Sept ans entre la garde à vue et la mise en examen

Les faits reprochés remontent aux années 1994-1997. La CGT, qui a pris les commandes du CCE d’Air France a déposé plainte en 2000, audit à l’appui, pour escroquerie et abus de confiance contre ses prédécesseurs du syndicat FO. Les soupçons portaient sur des surfacturations à l’achat de résidences en temps-partagé et sur un licenciement arrangé qui aurait permis l’octroi d’une indemnité confortable à son bénéficiaire. Le CE gérait alors les loisirs et la restauration des 40 000 salariés d’alors, avec un budget annuel de 500 millions de francs (soit 76 millions d’euros), à l’époque.

L’information judiciaire, ouverte à Bobigny en 2000, a vu passer plusieurs juges d’instruction successifs, des commissions rogatoires ont été délivrées en Espagne (infructueuse), en Autriche, mais pas à grand pas, selon l’historique de la défense. « Sept ans se sont écoulés entre la garde à vue de mon client en 2005 et sa mise en examen en 2012, et de 2012 à 2016, il n’a été interrogé qu’une fois par le magistrat instructeur », pointe Me Dominique Inchauspé, conseil du prévenu octogénaire.

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En 2015, un des quatre hommes décède. Ils ne sont plus que trois à être visés pour faux, abus de confiance et abus de bien social. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal est signée en 2016, le procès, fixé à l’automne 2018. À quelques jours de l’audience, l’ancien secrétaire général du CE meurt lui aussi. « Il est décédé avec cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête depuis vingt ans, sans jamais avoir pu s’expliquer », déplore son conseil, Me Olivier Laude, « scandalisé par la longueur de cette procédure ».

« On ne peut pas demander à quelqu’un de s’expliquer vingt-cinq ans après »

En 2018, un vice de procédure retarde le procès. Des procès-verbaux de garde à vue pourtant annulés par la chambre de l’instruction figuraient toujours au dossier. Patatras ! Le procès est annulé. Retour à l’instruction, nouveau juge, nouvelle ordonnance, jusqu’à ce procès, en février 2022, où les deux retraités n’étaient pas. Leurs avocats avaient prévenu qu’ils soulèveraient la nullité de la procédure. Le tribunal leur a donné raison. « On ne peut pas demander à quelqu’un de s’expliquer vingt-cinq ans après », se satisfait Me Marc Staedelin.

Son client, qui conteste les faits, s’attend pourtant à recevoir une nouvelle convocation, pour un procès devant la cour d’appel, sûrement pas avant 2023. Car le parquet de Bobigny, et le CSE (comité social et économique) central d’Air France contestent la décision. « Le recours pour violation du droit au délai raisonnable, ne peut ouvrir droit, selon la législation et notre analyse, qu’à indemnisation et non à l’annulation de la procédure », explique le parquet de Bobigny.

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Une décision de la Cour de cassation particulièrement attendue

« Quel peut être le sens de la peine, trente ans après ? » interroge un magistrat. La Cour de cassation doit justement se prononcer sur le sujet. Après l’annulation du procès pour corruption du marché de la chaufferie de la Défense en 2021 pour délai déraisonnable, par le tribunal de Nanterre, puis par la cour d’appel de Versailles, un pourvoi a été formé. Le dossier sera examiné le 22 septembre. « La décision sera scrutée de près », confirme un juge qui rappelle la charge des cabinets d’instruction : « 120 dossiers en moyenne par juge, avec une cinquantaine d’affaires nouvelles chaque année et une priorité donnée aux affaires où il y a des détenus ».

Jusqu’à présent, c’est sur le terrain de l’indemnisation que se discutait le préjudice occasionné par des procédures jugées trop lentes ou des délais d’audiencement très tardifs. Parmi les décisions, on trouve une somme de 15 000 euros accordée à jeune femme des Hauts-de-Seine « en réparation de son préjudice causé par un déni de justice ». Elle a attendu neuf ans pour que la justice tranche sur le viol qu’elle avait dénoncé adolescente.

Les tribunaux croulent sous les affaires en attente de jugement

En Île-de-France, les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel, sans date de procès, se comptent par centaines. À Créteil (Val-de-Marne), 171 dossiers sont prêts à être jugés mais n’ont toujours pas de date de procès, 81 affaires à Évry (Essonne), 446 à Paris, 470 à Bobigny, rien que sur le ressort de la cour d’appel de Paris. Et pour la cour d’appel de Versailles, 191 ordonnances attendent une date de jugement au tribunal judiciaire de Versailles, 209 à Nanterre, 132 à Pontoise. Soit 1700 dossiers rien qu’en Ile-de-France.

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« Actuellement nous ne pouvons pas juger les affaires dans des délais raisonnables », ont indiqué récemment Peimane Galeh-Marzban, président du tribunal judiciaire de Seine-Saint-Denis, et Éric Mathais, procureur de la République. La création d’une chambre correctionnelle supplémentaire est souhaitée dans cette juridiction en sous-effectif, relève Maximim Sanson, vice président et représentant de l’union syndicale des magistrats (USM). Dans cet embouteillage d’affaires bouclées, qui attendent parfois depuis quatre ans d’être jugées, on trouve aussi bien des affaires de trafic de stupéfiants, de délinquance organisée que de violences.

Derrière les statistiques, ce sont des contrôles judiciaires qui s’étirent, des audiences qui se rajoutent pour réclamer leur modification, obtenir une sortie de territoire pour les vacances d’été. Des prévenus, comme cet homme de 46 ans suspecté d’avoir participé à une filière d’immigration clandestine en 2017, se voient proposer, s’ils reconnaissent toujours les faits, de passer en audience « CRPC » (plaider-coupable) plutôt qu’en procès devant une chambre correctionnelle.

Pour les victimes, c’est le sentiment d’être peu de chose, comme pour les parties civiles de l’explosion mortelle d’une canalisation de gaz à Bondy (Seine-Saint-Denis), en 2007. La chambre de l’instruction de Paris a confirmé le 21 avril, soit quatorze ans après les faits, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de la société STPS.

« Si le procès n’est pas organisé dans des délais raisonnables, c’est la responsabilité de l’État qui sera engagée pour faute lourde », annonce Me Stella Bisseuil qui attend toujours des nouvelles du parquet de Bobigny. Elle défend des rescapés dont le préjudice n’a toujours pas été totalement indemnisé.

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