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Dans le nouveau roman de Covacich, une confrontation avec la vie – Corriere.it

Dans le nouveau roman de Covacich, une confrontation avec la vie – Corriere.it
De NICOLA H. COSENTINO

Dans «L’aventure terrestre» (La nave di Teseo) l’écrivain de Trieste mêle courant de conscience, autobiographie, réflexion sur la mort. Au coeur des attentes d’un homme


Il y a deux hommes, tous deux anonymes. Le premier apparaît comme un hologramme dans les moments d’illusion et de bonheur maximum dans la vie de l’autre et, le regardant dans les yeux avec une expression indéchiffrable, révèle comment ils finiront. Déménager en Hongrie, à cause d’une fille du coin ? “Tu reviendras.” Cet amour subi et défendu, juste couronné par un mariage et une lune de miel romantique sur la Route 66 ? “Tu vas tout casser.” Et la jeunesse en général, le corps qui répond à vos ordres, la bouche qui embrasse si vous pensez « embrasser », les jambes qui courent si le but est loin, le cerveau plein plus d’idées que de souvenirs ? “Tu vas mourir”. Dès la première apparition, le narrateur veut voir clair sur cet homme au « bonnet galeux » et au visage creux qui le tourmente d’avances non sollicitées. “Qui était? Que me voulait-il ? Pourquoi m’a-t-il parlé ainsi ? Je le suis depuis.”


La suggestion à partir de laquelle Mauro Covacich commence son nouveau roman,
L’aventure terrestre (publié par Ship of Theseus, p. 336 et 20, photo de couverture par Nino Migliori
)
, est l’idée que l’existence est le compte à rebours d’une rencontre entre deux parties, ou deux phases, de la personne que nous sommes : la première, du passé, chasse la seconde, qui en attendant regarde en arrière avec le fameux recul d’alors, ruminant . La puissance de l’idée permet de lire le roman comme plusieurs livres à la fois : un courant de conscience qui transforme une métaphore en métaphysique ; une longue réflexion sur la mort ; une preuve d’autobiographie à la troisième personne. Quelle version prévaut ? Dur à dire. Il est tout aussi difficile de décréter qui est le véritable protagoniste entre ces deux hommes qui n’en font qu’un – un écrivain de Trieste qui vit à Rome, comparable à Covacich lui-même – sans se laisser conditionner par notre âge, notre expérience ou notre humeur du moment. . Si nous nous sentons nostalgiques, en effet, la voix narrative excellera, représentant l’avenir, et à laquelle sont réservés les meilleurs moments (nous montrer au sommet de leur beauté, c’est-à-dire un instant avant de s’éteindre). Sinon les données quantitatives seront valables : le protagoniste est celui qui est le plus sur la scène, c’est-à-dire l’homme des annonces déprimantes. Le devenir. Covacich nous le présente lors du pire week-end de sa vie, en attendant de passer une IRM qui établira si la perte auditive qui le tourmente depuis un moment est due à une tumeur au cerveau. Autour de lui, du fait de la tempête déclenchée par l’angoisse, le fantasme et la réalité, passé et présent, les vivants et les morts s’enchevêtrent. Incapable de distinguer la présence de l’évocation pure, le protagoniste fera place – en plus de sa compagne, dans “leur petite et belle maison” – à une foule de personnages anonymes, guère plus que des masques, des arcanes de tarot en édition limitée : l’ange, le promeneur, les tritons, « robe rose », l’espion, le kiné. Parmi les rares à avoir un nom propre : Moana Pozzi et Franz Kafka, dieux du corps et de l’esprit. Lequel cessera de fonctionner en premier, se demande le protagoniste ? Lequel ai-je privilégié, en me trompant de toute façon ?

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Et en parlant d’erreurs. Depuis qu’il y a eu des histoires, à un héros on ne demande avant tout qu’une chose : qu’avant le mot « fin » ferme les derniers bouts. Celui imaginé par Covacich, en revanche, qui n’a pas l’intention de se terminer, tend à les rouvrir un à un, et à ouvrir la voie à de nouveaux enchevêtrements. Ne faisons-nous pas tous cela, après tout, quand nous voulons nous projeter dans le futur ? Nous tergiversons, nous accumulons les charges en attente ; on défait la toile comme Pénélope, pour enlever à la fois la pensée du deuil – ce qui restait inachevé, dans ce cas, c’était le linceul funéraire de Laërte, père d’Ulysse – et les prétendants, c’est-à-dire l’entaille dans l’union, dans la beauté qui nous avons construit ensemble aux autres. C’est dans cette éternelle déchéance que se déroule l’aventure terrestre: coudre, défaire; partir, revenir, repartir; se tromper dans les deux sens. Ulysse (grec ou irlandais ne fait aucune différence) a toujours offert toutes les réponses.

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Mauro Covacich est un écrivain libre et imprévisible, plus proche de la définition d’« artiste » que de celle de « conteur ». Avec L’aventure terrestre impétueux mais bien apprivoisé, original, roman complet — entre autres, il gère une liaison complexe, celle entre la mise à mort métaphorique des hommes que nous avons été, donc le changement, et le phénomène qui en biologie s’appelle l’apoptose, ou plutôt l’immolation cellulaire nécessaire à la survie de l’organisme. « J’ai changé constamment, j’ai été garçon des ruches, puis comte, puis kapo, puis j’ai perdu mes cheveux, je me suis marié, j’ai divorcé, j’ai déménagé huit fois dans quatre villes différentes, j’ai rencontré un étudiant hongrois, j’ai amour avec un journaliste romain, […] Je suis devenu un autre et je deviendrai encore un autre, je deviens un autre même maintenant tandis que je te parle en glissant lentement le long des murs de l’abîme». Le sujet revient plus tard, quand le protagoniste prend conscience de la définition de l’apoptose, « le processus naturel de la mort programmée ». « Les cellules », lui explique un ami médecin vers qui il se tourne pour soulager son anxiété « s’épuisent, meurent et sont remplacées par millions, l’immolation cellulaire est génétiquement contrôlée. L’alternance de la vie et de la mort est incessante dans toutes les parties du corps. D’un certain point de vue, on meurt tout le temps, on meurt dès la première minute de notre naissance. C’est la seule façon dont nous pouvons vivre.” Et en fait, une autre obsession qui émeut Covacich est évidemment la coopération entre des contraires complémentaires : la joie et la douleur, le bien et le mal, la vie et la mort. Combien de parties de nous – cellules, personnalités – devons-nous perdre pour continuer à exister ? Combien faut-il d’erreurs pour arriver à un seul résultat satisfaisant, à un choix sensé ? Combien de douleur est nécessaire pour construire une bonne mémoire ? Et ainsi de suite.

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À bien y penser, le meilleur cri possible pour L’aventure terrestre Vient de je ne suis plus avec toi de Caterina Caselli, et le parolier Vito Pallavicini l’a écrit: c’est ce vers incomparable qui dit «nous mourons un peu pour vivre». Mais si nous parlons d’auteurs-compositeurs, Le cœur de Covacich – en accord avec sa poésie et sa prose, ici à leur meilleur – ne bat que pour Thom Yorke de Radiohead, qui cannibalise toute autre part musicale du roman. Surtout avec la présence de Comment disparaître complètement, dont une interprétation inédite est osée vers la fin : « Pour les gars du groupe c’était la transposition d’un rêve, mais il n’y a jamais cru. Ici s’opère une transition, pourrait-on dire aussi au sens littéral. […] Si l’atmosphère peut paraître onirique, c’est uniquement parce qu’il est difficile d’imaginer franchir le seuil ». Eh bien, nous avons le même sentiment en lisant L’aventure terrestre: que ce soit le compte à rebours qui précède notre quart de travail, le fantasme d’évasion qui nous surprend dans une salle d’attente, la tentative d’imaginer comment ça va se passer. Ce soupçon de mort apporté en cadeau par la fiction, pour déclencher l’apoptose, et faire place à la vie.

14 février 2023 (changement 14 février 2023 | 11h28)

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