Dans le centre ancien de Bagneux (Hauts-de-Seine), à l’angle des rues de Fontenay et de la rue Salvador-Allende, des affiches recouvrent les façades de l’ancienne brasserie Le Dampierre, fermée depuis 2019, et des maisons attenantes. Ici et là, des inscriptions : « Non, non monsieur le promoteur, n’effacez pas notre histoire… » ou encore « Ces maisons, cet arbre remarquable doivent-ils être les victimes de la spéculation immobilière ? », peut-on y lire notamment.
Dans le cadre de la ZAC du Moulin-Blanchard, cet ensemble de bâtisses construites courant XIXe et XXe siècles, dont l’une menace de s’écrouler, est voué à la démolition pour y ériger des logements (une soixantaine, peut-être moins) et commerces dans le but de redynamiser le centre-ville. Au départ, la municipalité avait envisagé de garder Le Dampierre mais à la suite de l’étude des sols, un fontis (effondrement du sol en surface) est apparu, dont la consolidation elle-même risquait d’endommager le bâti existant.
Cet argument n’a pas convaincu des habitants du centre historique, qui s’opposent à ce programme et viennent de lancer l’association Bagneux village remarquable, dans le but de sauvegarder Le Dampierre, en particulier, et tout le pâté de maisons, en général, puis d’obtenir le label Village remarquable. Réunis d’abord en collectif, ils ont déjà lancé une pétition en ligne et sur papier qui ont recueilli environ 500 signatures.
« Je l’ai lancé car j’habite place Dampierre, juste en face de l’ancienne brasserie. Je ne trouvais pas juste de démolir un aussi beau bâtiment et qu’on gâche l’harmonie du village, raconte Saïd Maghrici. Quand j’ai fait signer, les gens se souvenaient avec émotion de leur enfance, d’avoir joué dedans, de la salle de danse, des mariages célébrés… »
Dans le cadastre de 1807, à l’emplacement du Dampierre, une brasserie apparaissait déjà. Elle a connu plusieurs modifications au fil du temps. Les bâtisses autour servaient de bâtiments agricoles transformés plus tard en immeuble d’habitation et il y avait un grenier agricole pour les maraîchers et vignerons du village. Derrière la porte cochère en bois encadrée de colonnes de pierre, se cache un grand jardin au milieu duquel trône un cèdre bleu de l’Atlas.
« Notre objectif n’est pas de faire table rase du passé »
Dans le cadre de ce projet, la ville a demandé une étude patrimoniale au CAUE 92 (Conseil départemental d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement). « Elle a conclu que le café avait en effet un caractère historique mais que les bâtiments autour ont été construits en différentes étapes et la présence d’une ferme n’a pas pu être attestée », rapporte Marie-Hélène Amiable, maire (PCF) de la commune.
![Bagneux, 9 février 2023. Dans le cahier des charges du projet de construction de logements, cette porte d'assemblage en sifflet du XIXe siècle est inscrite comme étant à conserver.](https://i0.wp.com/www.leparisien.fr/resizer/ah4kWWGzzLAyj3x7D_qajRfgRjs=/622x466/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/leparisien/SKQUZGEMHJCP3PKANWS75AMTAY.jpg?w=1170&ssl=1)
« On protège souvent les maisons de nobles mais peu celles des ouvriers, des carriers, des plâtriers, regrette Claude Hivernon, président du Collectif de ressources alternatives et citoyennes (CRAC) de la ville. Cette rue Salvador-Allende s’appelait la rue des Plâtriers. La pierre de ces bâtiments, elle, est de Bagneux », insiste-t-il.
« Nous sommes attachés à ce coin-là car nous sommes dans le périmètre de l’église construite au XIIe siècle, avec un village qui a conservé la même structure depuis le Moyen Âge, ce qui ne se retrouve pas dans les autres centres-villes voisins, renchérit Jean-Paul Autant, historien membre de l’association. On pense qu’il devrait garder son authenticité. » Ainsi, Bagneux village remarquable aimerait faire inscrire ce bâtiment à l’inventaire des monuments historiques. La demande a été faite. Dans le « village », déjà trois constructions sont classées : l’église Saint-Hermeland, l’ancien presbytère et la maison de la musique et de la danse.
De son côté, la collectivité défend son projet qui se fera, assure-t-elle dans le « respect du centre ancien ». « L’opération qu’on propose ne va pas dénaturer le centre ancien, affirme la maire. Les architectes ont bien compris qu’ils étaient dans un endroit privilégié et le cahier des charges indique qu’il faut conserver tout ce qui est conservable, la silhouette du café, le porche, voire d’autres éléments tels que des pierres. »
« Notre objectif n’est pas de faire table rase du passé. On est dans les 500 mètres de l’église, donc le projet est aussi soumis à l’accord de l’architecte des Bâtiments de France », insiste Marie-Hélène Amiable.
L’association de sauvegarde imagine un lieu d’animations et un un centre pédagogique
Mais des logements, l’association n’en veut plus, estimant que les 300 déjà construits dans la ZAC n’ont pas eu l’effet escompté de redynamisation du centre-ville. « Nous aimerions en faire un lieu de mémoire du passé ouvrier et vigneron de Bagneux, en faisant venir les jeunes. C’est comme ça qu’on veut redynamiser le centre », présente Daniel Forget, président de l’association de sauvegarde.
« On voudrait en faire un lieu d’animations avec une brasserie, un centre pédagogique de fermentation avec de la bière, un lieu pour pétrir le pain, faire du fromage, avec une micro-ferme », ajoute-t-il. Seulement, leur projet se heurte pour l’heure à la grande question du financement. « Je comprends que l’association veuille faire un autre projet qui est intéressant mais nous sommes sur une réalité économique. Ce n’est pas un endroit où la ville a décidé de mettre du financement », indique Marie-Hélène Amiable.
Côté patrimoine, elle estime par ailleurs que sa municipalité a déjà fait des efforts, avec la rénovation de l’église Saint-Hermeland et l’ouverture prochaine de la maison du patrimoine au Clos des Sources.