Une femme se fraye un chemin à travers la marée humaine, tenant son cocktail haut pour éviter de gaspiller la moindre goutte. Elle se dirige d’un air décidé vers les escaliers tandis que le célèbre hit de Haddaway commence à résonner entre les murs noirs de la boîte de nuit bruxelloise. Une fois arrivée à l’étage, la déception se lit sur son visage, une moue boudeuse déformant sa bouche. La file pour les toilettes est énorme. Elle sort son téléphone, l’attente va être longue.
Plus loin, chef d’orchestre de cette colonne de fêtards fébriles, Marc laisse les impatients enfin avoir accès au saint Graal du sorteur à la vessie pleine : les toilettes.
Un travail comme un autre
De jour, Marc fréquente les amphithéâtres de l’université, travaillant d’arrache-pied pour obtenir son bachelier en commerce international. De nuit, le jeune homme endosse le costume de “dame pipi” pour les soirées “Chez Ginette” à Bruxelles. Alors qu’il profite de quelques instants de calme pour prendre l’air, Marc s’explique. “Le cliché de la vieille dame pipi est complètement faux“, entame-t-il. “Ici, on est une équipe de jeunes, autant d’hommes que de femmes, qui travaillent ensemble.“
Pour le jeune homme, le poste de “dame pipi” est le job d’étudiant idéal. “Les jobs classiques ont souvent lieu en même temps que mes cours. Avec celui-ci, je peux aller à tous mes cours“, raconte-t-il. “Et puis, c’est comme si on sortait, sauf que nous, on travaille“, plaisante l’étudiant.
Ainsi, ce travail lui permet de profiter de sa famille, de faire du foot et de se rendre à la salle de sport. Et la nuit, il prend plaisir à garder l’entrée de son royaume, les toilettes.
Pour lui, il n’y a rien d’ingrat dans ce boulot. C’est un plaisir de saluer les habitués, de s’amuser de leurs dernières sorties. “C’est doublement bénéfique“, déclare-t-il. “Je gagne de l’argent et le cadre est amusant.“
L’argent que Marc gagne, contrairement aux idées reçues, ne vient pas des pièces que les fêtards pressés lui donnent pour avoir accès aux toilettes. “On gagnera tous plus ou moins la même chose, ça ne dépendra pas de ce qu’on nous donne pendant la soirée“, explique-t-il.
Un rythme qui ne convient pas à tout le monde
Dans la boîte de nuit, les soirées sont longues. La fête commence à 22h et se termine vers 6h du matin. Marc doit se préparer. Pour ce faire, le jeune homme se repose durant la journée autant que possible pour arriver à 21h30 sur les lieux.
Il prépare alors les papiers toilette, qui doivent être disponibles en quantités astronomiques pour les centaines de fêtards qui risquent d’affluer durant la nuit. Ensuite, il est à son poste, prêt à passer la soirée à scanner les QR code des sorteurs qui ont opté pour un pass à 3 euros, permettant d’avoir accès au petit coin dès que le besoin se fait sentir. D’autres lui donnent à chaque passage 50 cents pour pouvoir se soulager. “En général, les gens sont habitués et ne discutent pas des prix“, raconte-t-il. “Ça arrive que les gens se plaignent et refusent de payer, mais ils se laissent vite convaincre.“
Le jeune homme a rarement le temps de se reposer et, contrairement au cliché, n’est pas assis devant une table. Il est constamment en mouvement, debout.
Mais dès qu’il trouve le temps, Marc nettoie également les toilettes, allégeant sa tâche quand la soirée se termine. En général, tout va bien, mais des accidents arrivent.
“On a déjà dû évacuer quelqu’un sur un brancard”
Et ces accidents représentent peut-être le pire cauchemar du “monsieur pipi”. “C’est déjà arrivé qu’on me vomisse sur mes chaussures“, confesse-t-il. Des anecdotes du genre, le jeune homme en a à la pelle. Mais “certaines situations m’ont particulièrement marqué“.
Un soir, alors que l’étudiant était en charge des toilettes des filles, il a été témoin d’une scène pour le moins insolite. “Je me retrouve face à un groupe de copines, dont l’une des trois avait clairement abusé de la boisson“, commence-t-il. “Les autres ont beau la prévenir, la fille est incontrôlable. Alors, à un moment quand elle est aux toilettes, elle se défèque dessus“, poursuit l’étudiant. “Le problème, c’est qu’elle n’arrivait plus à se lever. Donc, une ambulance a débarqué et la pauvre a dû passer devant tout le monde en brancard encore souillée“.
Les hommes ne sont pas non plus épargnés par ce type d’événements. “Une autre fois, alors que je gérais les toilettes des hommes, j’ai assisté à une autre scène, plutôt amusante“, raconte Marc. “Alors qu’un homme, probablement ivre, parlait à son ami, il a oublié de regarder ce qu’il faisait. Résultat : il s’est uriné dessus au lieu de viser le pissoir“, rigole-t-il. Evidemment, l’homme n’avait pas de vêtements de rechange. “Il est rentré chez lui, il s’est changé et il est revenu“, se rappelle l’étudiant.
Marc se souvient d’autres anecdotes concernant cette fois des personnes s’endormant sur les toilettes. “C’est assez fréquent mais facile à repérer quand il y a de la file, parce que les gens s’énervent rapidement quand quelqu’un reste trop longtemps aux toilettes“.