Dans certaines localités aisées de Genève, la consommation d’eau des particuliers est deux à trois fois plus élevée que dans le reste du canton. Ces statistiques inédites des Services Industriels de Genève (SIG), obtenues par la RTS, suscitent l’intérêt des autorités cantonales.
A Vandoeuvres, Cologny et Jussy, la consommation d’eau dépassait 356 litres par jour et par habitant en 2022. En comparaison, ce chiffre n’était que de “seulement” 132 litres à Chancy ou 172 litres dans la Ville de Genève. Ces données incluent la consommation des propriétés individuelles ainsi que le marché locatif de logements et de bureaux.
Bien que Vandoeuvres compte également parmi les communes suisses avec le plus de piscines privées, celles-ci ne peuvent pas expliquer de telles différences de consommation. Ces chiffres surprennent l’Office cantonal de l’eau (OCEau) : “Il faut que nous étudions ces données plus en détail car il y a des écarts que nous ne parvenons pas à expliquer”, déclare Gilles Multhauser, directeur général de l’OCeau. “Les pistes à explorer se situent davantage du côté des utilisations non essentielles de l’eau. Nous devrons voir s’il y a de mauvaises pratiques d’arrosage ou de gestion des piscines, par exemple.”
Ces analyses sont d’autant plus importantes que cette ressource, qui semblait inépuisable dans la région, ne l’est plus : “La sécheresse et les pénuries d’eau à venir sont un enjeu pour Genève. Nous avons constaté ces dernières années qu’un cours d’eau peut être à sec à moins d’un kilomètre du lac. Or, ces cours d’eau, tout comme le Léman, fournissent de nombreux services : eau potable, électricité, environnement pour les espèces aquatiques.
En été 2022, Antonio Hodgers, conseiller d’État chargé de ces questions, avait annoncé un programme visant à économiser l’eau. Interrogé par la RTS sur ces chiffres, il est très direct : “C’est une réalité que nous connaissons, l’impact environnemental dépend fortement du revenu des ménages. Vandoeuvres, qui regroupe une population très fortunée, se trouve souvent en tête des communes les plus polluantes, que ce soit pour l’eau ou les déchets, par exemple.”
Selon Véronique Athané Ryser, directrice de la gestion des réseaux de distribution aux SIG, le changement passe nécessairement par la consommation privée. Celle-ci représente 70% de l’eau potable, loin devant l’industrie, les collectivités publiques et l’agriculture. Les particuliers constituent donc un secteur important pour réaliser des économies.
La maire de Vandoeuvres, Laurence Miserez, refuse de se prononcer sur ces statistiques : “Ces chiffres ne nous sont jamais communiqués. Il n’est pas de notre responsabilité de les connaître, de les commenter ou de les analyser.” Elle estime également que les données concernant les particuliers relèvent d’une relation entre un client privé et un fournisseur, les SIG. “Nous ne sommes pas là pour juger et encore moins surveiller.”
Elle souligne également que la commune n’a aucune compétence en matière de distribution d’eau, qui est gérée par le canton, mais se réjouit que les Services Industriels “fournissent des pistes et des incitations pour sensibiliser les habitants à leur consommation d’eau”.
Antonio Hodgers estime que Genève est plutôt en retard sur cette question. “Le canton de Vaud a déjà pris des mesures concernant l’arrosage, le lavage des voitures, le remplissage des piscines. À Genève, il n’y a actuellement aucune base légale pour cela. Géographiquement, nous sommes en ‘fond de cuvette’, l’eau vient à nous. Mais cette idée que l’eau coule à flots pour toujours est révolue.”
À l’opposé du spectre, le maire adjoint de Chancy, Xavier Beuchat, découvre que sa commune affiche une faible consommation d’eau. “Nous sommes quand même une commune rurale avec de nombreuses villas. Mais il est vrai que nous sensibilisons depuis plusieurs années la population à économiser les ressources, et notamment l’eau.”
Les autorités municipales ont notamment profité d’une campagne de la Confédération pour offrir des économiseurs. Elles ont également formé des jeunes à installer ces dispositifs et à en faire la promotion. Les publications communales encouragent également la population à préserver les ressources.
Du côté de l’Office cantonal de l’eau, on s’intéresse aux bons exemples, mais on refuse de stigmatiser les communes les plus consommatrices. “Nous obtiendrons de meilleurs résultats si toute la population réduit sa consommation de quelques litres plutôt que de cibler certaines clientèles”, souligne Gilles Multhauser, directeur général. En d’autres termes, les mesures ciblant les 500’000 Genevoises et Genevois seront plus efficaces que celles visant certaines communes aisées. Même si la surconsommation de celles-ci dépasse 520’000 litres par jour, soit plus d’un litre par habitant du canton.
Tybalt Félix, avec Camille Rivollet et Tania Sazpinar.
