Pour les Ukrainiens, le scénario douloureux a des airs de déjà-vu : une ville sur la ligne de front pilonnée sans relâche par l’armée russe, et peu à peu grignotée par des assauts d’infanterie incessants qui, après des mois de violents combats, menacent d’achever son encerclement. La ville s’appelait Bakhmout en 2023. Un an plus tard, c’est 50 kilomètres au sud, dans le bastion industriel d’Avdiïvka, que les forces russes resserrent l’étau et progressent à l’intérieur de la ville.
« L’ennemi est sur le point d’établir un contrôle par le feu de la route logistique nord » constate le 10 février une analyse du Centre For Defence Strategies, un laboratoire d’idées ukrainien spécialisé dans les questions de défense. Comme il y a un an, la mise en péril du ravitaillement pour les forces ukrainiennes retranchées soulève désormais la question d’une éventuelle retraite.
Trou d’air de l’aide occidentale
Mais si les similarités tactiques entre les batailles de Bakhmout et d’Avdiïvka sautent aux yeux, la situation générale n’a plus grand-chose à voir. Alors que se succédaient l’année dernière à la même époque les annonces de livraisons de véhicules de combat, de missiles et d’armes venant d’Europe et des États-Unis, l’armée ukrainienne doit aujourd’hui composer avec un trou d’air de l’aide occidentale. Une situation ” la critique “ détaillée par le ministre de la défense ukrainien, Roustem Oumierov, dans une lettre envoyée fin janvier à ses homologues européens : l’armée ukrainienne, assurait-il alors, n’est capable de tirer que 2 000 obus par jour sur l’ensemble d’une ligne de front longue de 1 500 kilomètres, trois fois moins que les forces russes. En l’absence de nouvelles livraisons, l’Ukraine pourrait tomber à court de missiles antiaériens dès le mois de mars, d’après des officiels américains cités par le New York Times.
Une pénurie dont les conséquences se font déjà ressentir : « La situation (militaire) générale pour l’Ukraine s’est détériorée, une détérioration liée en grande partie au manque d’hommes et de munitions » constate dans un rapport hebdomadaire l’analyste militaire polonais Konrad Muzyka. Et si, note-t-il, « les avancées russes restent lentes » celles-ci « continuent, avec des territoires capturés presque tout le long de la ligne de front ».
Priorité russe aux régions de Louhansk et de Donetsk
Si des escarmouches continuent sur le front sud, et notamment autour d’un saillant de Robotyne créé par les troupes ukrainiennes l’été dernier, les efforts de l’armée russe se concentrent depuis le début de l’hiver sur deux axes : Avdiïvka d’abord, ville industrielle aux portes de Donetsk, capitale régionale contrôlée depuis 2014 par des groupes séparatistes sous tutelle de Moscou. Et 200 kilomètres plus au nord, l’armée russe tente aussi d’avancer vers Koupiansk, ville de la région de Kharkiv reprise par les troupes ukrainiennes lors de la fulgurante contre-offensive de l’automne 2022. Deux poussées qui viseraient à terminer la conquête des régions de Louhansk et de Donetsk, vue par plusieurs observateurs comme l’objectif minimal donné par le Kremlin à son armée au début de l’invasion en février 2022.
À Kiev, l’échec de la contre-offensive estivale, les avancées russes, les pénuries d’hommes et de matériel ainsi qu’un flou sur la stratégie ukrainienne pour 2024 se sont cristallisés début février pour aboutir au renvoi, jeudi 8 février, du général jusqu’alors commandant en chef des forces armées ukrainiennes. Et si le très populaire Kyrylo Boudanov, chef du renseignement militaire, fut un temps pressenti pour le remplacer, le poste suprême a finalement été confié au plus austère général Oleksandr Syrsky. « Syrsky est un officier à l’ancienne, formée à l’école soviétique. Boudanov est un gars du renseignement d’une nouvelle génération, mais il n’avait pas l’expérience de commandement d’une armée » confie à La Croix un soldat et instructeur ukrainien. « Au bout du compte, tout dépend des ressources, matérielles et humaines » ajoute-t-il. En attendant le passage à plein régime des arsenaux occidentaux, c’est sur la défensive que l’Ukraine envisage désormais 2024.