2014-11-23 12:26:27
Le bonheur fait déjà partie des produits phares de la vitrine du grand centre commercial qu’est en train de devenir le domaine de la santé mentale. Aujourd’hui, la santé mentale est de plus en plus synonyme de bonheur et cela implique un changement radical dans les approches fondamentales de la psychiatrie et de la psychologie.
Dans notre société, tout est devenu un objet de consommation, et la santé mentale ne saurait faire exception. Au contraire, nous parlons d’un des marchés les plus appétissants. Si le marché a déjà un produit pour chaque besoin, même inventé, pourquoi la santé mentale devrait-elle être une exception ?
Les soucis, les stress de la vie et sans parler des duels, dans le cadre de la mentalité de la société de consommation, la démarche est qu’il existe sûrement un produit qui peut éliminer toute souffrance. Il suffit de savoir guider le panier vers la bonne étagère. Car dans le cadre d’une course publicitaire vertigineuse pour augmenter les ventes, la commercialisation du produit du bonheur reste une panacée irrésistible, comme en témoigne la création de l’Institut Coca-Cola du Bonheur.
Il existe déjà des librairies dans lesquelles la section psychologie a été remplacée par la section bien-être, et il ne serait pas surprenant de voir bientôt comment l’étiquette de la section est remplacée par celle qui dit “Bonheur” (je ne veux pas donner d’idées). Pourtant, il n’y a pas si longtemps, le terme bonheur n’était même pas une simple entrée dans les dictionnaires de psychologie, ni même dans les dictionnaires de philosophie.
Aujourd’hui l’obligation d’être heureux est proclamée. Le bonheur est devenu une nécessité au point que l’on souffre de ne pas l’être. Ceux qui ne sont pas contents sont malades ou quelque chose ne va pas chez eux. Et face à ce besoin, il y a la santé mentale pour le résoudre.
Le marché qui ouvre cette simple équation bonheur = santé mentale est énorme, car le bonheur humain est précaire. Comme Nietzsche l’a écrit dans La Gaya Ciencia “Le bonheur humain est la sécurité fragile d’un naufragé qui, en mettant le pied à terre, s’émerveille de rester ferme.”
Parce que vivre implique des efforts, des tensions, des conflits et que le bonheur n’est certainement pas toujours au coin de la rue. Comme le suggèrent la psychologie évolutionniste et la psychiatrie, les lois de la sélection naturelle ne recherchent pas le bonheur mais la survie de l’individu, elles fonctionnent selon ce qu’on appelle “la loi de la prévention généralisée” : il vaut mieux avoir cent fois peur que ne pas avoir peur et mettre notre survie en péril. C’est donc de manière adaptative que nous maintenons un niveau de tension et de vigilance. Ou il vaut mieux être cent fois triste que de continuer à faire des activités qui mènent à l’échec.
Bien sûr, quand on parle de bonheur aujourd’hui, le terme est de plus en plus utilisé dans sa version la plus plate et la plus simple. On ne sait même pas vraiment de quoi on parle quand on essaie de définir le bonheur. Martin Seligmann, l’un des principaux chercheurs sur le sujet, estime que le bonheur est un concept très large qui ne peut être réduit à une simple formule. Dans ce sens, comme le soulignent par exemple le soi-disant “Easterlin Paradox” ou les travaux de Richard Layard de la London School of Economics, une augmentation indéfinie des revenus n’augmente pas le bonheur une fois les besoins de base couverts.
Mais, de plus, quelle place auront la littérature, l’art, le domaine de l’existentiel ou du spirituel dans cette société “heureuse”, dans une vie sans mystère, sans liberté ?
Face à cette vision du monde, il se souviendra de ce que Baroja a écrit dans les dernières pages de son roman Les aventures de Shanti Andia : “A l’automne une grande tristesse s’empare de moi, mais une tristesse si étrange qu’il me semble que je serais bien malheureux si je ne la ressentais pas quelquefois.”
#Bonheur #santé #mentale #cest #déjà #même #chose #santé #mentale #dans #les #moments #difficiles
1690165044