Cela fait maintenant onze jours que la Gendarmerie royale du Maroc a repêché le corps criblé de cinq balles de Bilal Kissi. Ce jeune père de famille de 29 ans, franco-marocain, originaire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), était en vacances avec ses deux enfants dans la cité balnéaire de Saïdia, ville marocaine frontalière de l’Algérie. Égaré sur un jet-ski au large de l’Algérie, il a été tué par des garde-côtes. Les balles ont aussi fauché son passager, Abdelali Mchiouer, 40 ans, son cousin.
Ce dimanche, à 14 heures, « un collectif de Marocains » organise un rassemblement à Paris (XVIe) au Trocadéro, sur le parvis des Droits-de-l’Homme, pour dénoncer « le double assassinat de Bilal Kissi et Abdelali Mchiouer » et « un acte barbare ».
Le 29 août, à la tombée du jour, sur leur engin au large de Saïdia, Bilal et Abdelali s’étaient retrouvés dans les eaux territoriales algériennes. Ils étaient en compagnie de Mohamed Kissi, 33 ans, frère de Bilal, et de leur ami Smaïl Snabi, chacun sur un jet-ski. Mohamed raconte qu’ils ont été « rafalés » par les garde-côtes algériens.
Le corps d’Abdelali sera repêché plus tard par la marine algérienne. À ce jour, sa dépouille n’a toujours pas été restituée à la famille. Elle est conservée à la morgue de Tlemcen, en Algérie. Mohamed Kissi a réussi à s’enfuir et a pu regagner le rivage de Saïdia, malgré une panne sèche. Smaïl a été capturé par les autorités algériennes. Après avoir été jugé dans la foulée par le tribunal de Tlemcen, en comparution immédiate, pour « entrée irrégulière sur le territoire algérien », il a été condamné à plusieurs mois de détention. Depuis, sa famille n’a pas de nouvelles.
« Ils ne savent pas quand ils vont pouvoir enterrer leur mort »
Abdelali Mchiouer, le plus âgé, père d’un enfant de 5 ans, était commerçant sur le marché où il vendait du linge de maison depuis plusieurs années. Il était une figure locale très appréciée. Bilal Kissi, lui, travaillait chez FedEx depuis un an. Son entreprise, spécialisée dans le transport de fret, a observé une minute de silence mardi dernier. « Il était apprécié et respecté de tous. Toujours de bonne humeur et d’une extrême gentillesse. Il laisse un grand vide », a indiqué au personnel Lynda Baumann, directrice générale des opérations chez FedEx Roissy.
« Il appartenait aussi à une grande famille estimée » , renchérit Ahmed Bouhout, directeur de cabinet de la maire de Clichy, Samira Tayebi. Tous deux se sont rendus au Maroc auprès des deux familles endeuillées. Celles-ci venaient tout juste d’enterrer Bilal dans leur village de Bni Drar. « Ce sont des jeunes et des personnes que l’on connaît, qui ont vécu à Clichy. C’était important de venir leur porter nos condoléances », souligne la maire (DVG) de Clichy. Elle a pu mesurer l’immense désarroi des proches. « Il y a chez eux de l’incompréhension et de la colère », confie Samira Tayebi. « Ils étaient en vacances. Ils ont passé une ligne tampon sans s’en rendre compte. C’est inimaginable », poursuit le directeur de cabinet.
Les proches de Bilal ont au moins pu l’enterrer. L’entourage d’Abdelali est, lui, « perdu ». Depuis onze jours, il n’a toujours pas pu récupérer sa dépouille. « Ils m’ont refroidi le cœur », confie sa mère dans une vidéo poignante publiée par le média Hiba Press. « Ils vivent dans la douleur : leur fils est de l’autre côté de la frontière. Ils ne savent pas quand ils vont pouvoir enterrer leur mort », rapporte Me Hakim Chergui, avocat des familles des victimes.
Comment dépasser l’imbroglio géopolitique
L’histoire des deux vacanciers tués et de leur ami incarcéré en Algérie a viré à l’incident diplomatique. Les Clichois se retrouvent au cœur d’un imbroglio géopolitique. Les liens diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie sont rompus depuis août 2021 et les frontières fermées depuis 1994, conséquence de leur conflit au sujet du Sahara occidental.
Ces enjeux dépassent les familles mais expliquent pourquoi l’Algérie tarde à réexpédier la dépouille d’Abdelali. « Il n’y a pas de contact entre le Maroc et l’Algérie. Nous sommes en train de les établir. Abdelali étant marocain, ce dossier doit être géré par les autorités marocaines. Mais elles ne peuvent pas demander des documents, sinon par le truchement des avocats », explique Me Hakim Chergui.
Pour cet avocat franco-algérien habitué aux dossiers internationaux sensibles — il est porteur de la plainte pour torture au Yémen contre Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite — l’angle d’attaque est de « réinjecter du droit. C’est ce qu’il y a de mieux contre les passions. Nous voulons emblématiser le drame pour que cela devienne une quête de justice. »
Il n’hésite pas à qualifier cet acte « d’exécution extrajudiciaire ». Son engagement dans cette procédure lui vaut « des menaces » : « Mais il y a aussi beaucoup de manifestations de soutien d’Algériens. Ils sont solidaires de ces familles et de leurs morts. Personne ne croit en la version algérienne. »
« Ils ont cru qu’ils allaient être secourus, pas qu’ils allaient être tués »
Celle-ci a été exposée cinq jours après le drame. Le ministère de la Défense d’Algérie a affirmé que les garde-côtes avaient effectué « des tirs de sommation, puis des coups de feu » face à « un refus d’obtempérer des Marocains, en effectuant des manœuvres dangereuses ». L’Algérie ajoute que la zone où ils ont été interceptés connaît « une activité accrue de bandes de narcotrafic et du crime organisé ».
VIDÉO. Perdus en mer en jet-ski, deux vacanciers dont un Franco-Marocain, tués par des garde-côtes algériens
« Dangereuses pour qui ? » s’étrangle Me Chergui, qui ne voit que quatre pères de famille en villégiature, équipés de leurs seuls maillots de bain, sur des engins à court de carburant. « Quand ils ont vu arriver le Zodiac algérien, ils ont cru qu’ils allaient être secourus, pas qu’ils allaient être tués », ajoute l’avocat, pour qui l’homicide ne fait aucun doute.
Les cinq balles tirées sur Bilal l’ont atteint au dos. Une plainte a été déposée mardi pour « tentative d’assassinat et assassinat, détournement de navires (les jet-skis)non-assistance à personne en péril ».
Le parquet de Paris a saisi la brigade criminelle
De part et d’autre de la Méditerranée, des enquêtes ont été diligentées. Le 29 août, le parquet d’Oujda (Maroc) a cherché à établir les circonstances d’« un incident violent en mer ». Avisé par le Quai d’Orsay, le parquet de Paris a saisi, lundi dernier, la brigade criminelle de la police judiciaire de Paris pour « un homicide volontaire ».
Signe du malaise palpable entre le royaume chérifien et son voisin, Rabat ne s’est pas encore exprimé publiquement sur le dossier alors que deux de ses ressortissants ont été tués.
2023-09-09 10:00:00
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