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Le spectacle stérile de « Dune : deuxième partie »

Le spectacle stérile de « Dune : deuxième partie »

Ayant été retardé, au milieu des récentes grèves hollywoodiennes, par rapport à sa date de sortie initiale, à l’automne 2023, « Dune : Part Two » est naturellement impatient de démarrer. C’est parti avant même d’avoir aperçu le logo de Warner Bros., dont le célèbre château d’eau est un rappel utile de s’hydrater : nous avons un long voyage étouffé par la poussière qui nous attend. Alors que l’écran est noir, une voix fortement déformée siffle quelque chose que l’on reconnaît comme des mots uniquement par la grâce des sous-titres : «Le pouvoir sur Spice, c’est le pouvoir sur tout.» Le rare débutant dans le Dune-iverse peut être confus : est-ce une histoire de bondage au cumin ? Mais le sens sera suffisamment clair pour les lecteurs du colosse de science-fiction de Frank Herbert de 1965 ou pour ceux qui ont regardé l’adaptation de 2021, « Dune : Part One ».

Ce film – réalisé, comme celui-ci, par Denis Villeneuve – nous a plongés dans une version agressivement beige et brutaliste du cosmos d’Herbert et a déclenché une saga de conquête féodale et de ruine environnementale. Au cœur de l’intrigue se trouve la substance connue sous le nom d’épice, capable de prolonger la vie, de provoquer des visions prophétiques et de permettre les voyages interstellaires. (C’est bon pour tout type de voyage.) Spice a longtemps déclenché des combats et des complots parmi ceux qui cherchent à contrôler l’offre, car elle n’existe que sur Arrakis, une planète désertique en proie à des vers de sable géants.

Paul – quinze ans dans le livre d’Herbert – possède une acuité mentale extraordinaire, des compétences de combat précoces, des cheveux luxueux balayés par le vent et, à mesure que les choses avancent, plus d’épithètes que quiconque de moins de vingt ans ne devrait se voir attribuer : Mahdi, Muad’Dib, Usul, Lisan al. -Gaib, Kwisatz Haderach. Vous avez entendu parler des complexes du Messie, mais le cas de Paul est particulièrement lourd. Une faction de Fremen, dirigée par Stilgar, ironique et avunculaire (un merveilleux Javier Bardem), croit que Paul mènera son peuple à triompher de ses oppresseurs Harkonnen. La noble mère de Paul, Lady Jessica (Rebecca Ferguson, toute de feu et d’acier), appartient à une sombre confrérie religieuse, le Bene Gesserit, avec ses propres desseins tordus sur son fils. (Pour ajouter une histoire de la Nativité à ce breuvage théologique enivrant, Lady Jessica est enceinte et Villeneuve, peut-être avec un clin d’œil à Stanley Kubrick, nous offre un ventre avec vue.)

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La prophétie est-elle vraie ? Est-ce vraiment important, tant que Paul peut utiliser ses fidèles comme une arme dans la poursuite de sa vengeance personnelle ? Chani (Zendaya), la féroce et belle guerrière qui hantait ses rêves dans le premier film, capture facilement son cœur dans celui-ci, et elle jette de l’eau froide – OK, une goutte de crachat – sur ses illusions de grandeur divine. Pourtant Zendaya, un acteur aux nuances tremblantes et souvent muettes, nous montre également l’inquiétude croissante derrière le scepticisme de Chani. « La peur tue l’esprit », prévient le texte d’Herbert, et la foi est peut-être encore plus mortelle.

Paul nourrit ses propres angoisses. Même si le personnage gagne en confiance physique et en stature émotionnelle, Chalamet, rapide et grêle, ne se débarrasse jamais complètement de sa vulnérabilité enfantine. Lui et Zendaya profitent de brefs instants de canotage au sommet des dunes ; Si Villeneuve était plutôt sensualiste ou Paul un peu plus aventureux, nous pourrions regarder “Call Muad’Dib by Your Name”. Mais en fin de compte, son objectif est de faire la guerre, pas l’amour. Plus d’une fois, nous voyons ses visions enflammées d’une apocalypse – une « guerre sainte » – qui pourrait se produire s’il ascensionnait. Herbert, imprégnant sa mythologie Fremen de détails issus de la culture arabe et des préceptes musulmans, a utilisé le mot « jihad ».

La décision apparente d’éviter le mot J a dû être prise bien avant la dernière conflagration au Moyen-Orient, mais le film, opposant les fondamentalistes fremen à un oppresseur génocidaire, ne peut guère espérer échapper à l’horreur des gros titres récents. Pourtant, si le film est, entre autres choses, une parabole opportune de la libération arabe, c’est au mieux une parabole glissante et réticente, dans laquelle la politique de la révolution semble curieusement sous-estimée. En conservant le filigrane arabe du matériau, bien qu’avec une pénurie flagrante d’acteurs arabes dans les rôles clés des Fremen, Villeneuve et son co-scénariste, Jon Spaihts, suivent le texte avec une fadeur prudente et sans engagement. Cela ne veut pas dire que le tableau n’a pas d’esprit propre ou qu’il échappe complètement à la politique. Villeneuve est peut-être plus un logicien cinématographique qu’un idéologue, mais, en impliquant Paul comme un possible charlatan, le réalisateur nourrit astucieusement notre propre malaise. Il ne peut pas complètement réfuter l’accusation de longue date selon laquelle « Dune » n’est qu’un autre fantasme de sauveur blanc, mais avec une certaine conscience de soi, il peut le garder sous contrôle.

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De toute façon, il a de plus gros vers à faire frire. Paul, dans le cadre de son assimilation Fremen, doit maîtriser le sport extrême du worm riding, qui ressemble un peu à la planche à voile, un peu à l’escalade, et une sacrée chose à voir. Il est révélateur que ce n’est que dans ce glorieux éclat de spectacle, soutenu par l’élan puissant de la partition de Hans Zimmer, que « Dune : Part Two » s’élève au-dessus de la compétence et flirte avec la transcendance. Avec les coffres les plus volumineux d’Hollywood et les technologies les plus avancées à sa disposition, Villeneuve devient un prophète dans le désert, un évangéliste de cette religion d’antan qu’est le cinéma. Pendant un moment au moins, le ver se retourne.

Dès le début, Villeneuve a raconté l’histoire de « Dune » avec une lucidité exceptionnelle, et je ne dis pas cela entièrement comme un compliment. Hollywood accorde naturellement une grande importance à la cohérence narrative, tandis que le texte d’Herbert – avec son enchevêtrement abstrus de noms et de concepts, sa superposition complexe de perspectives conscientes et subconscientes – exige des sauts d’imagination surnaturels. La tendance de Villeneuve, évidente dans les énigmes de science-fiction immaculées de « Arrival » (2016) et « Blade Runner 2049 » (2017), est de rationaliser, d’aplanir le moindre nœud de confusion ou d’ambiguïté. Dans «Part One», les acteurs ont enroulé leur langue autour du lexique Herbert avec une conviction poignante. (Certains d’entre eux font un retour bienvenu, notamment Josh Brolin, dans le rôle du maître d’armes des Atréides, Gurney Halleck, et la toujours formidable Charlotte Rampling, dans le rôle d’une révérende mère du Bene Gesserit.) Le talent des acteurs était digne d’une pièce avec l’austérité et l’anémie occasionnelle. des visuels ; Aussi frappante soit-elle, l’esthétique semblait avoir été imposée de l’extérieur par une certaine Marie Kondo du minimalisme dystopique.

La « deuxième partie » marque une amélioration, principalement parce qu’une grande partie de l’histoire se déroule non pas dans des forteresses et des hangars stériles, mais dans l’immensité du désert, où l’on peut mieux apprécier les enjeux de vie ou de mort, le dur miroitement du soleil sur le sable. , et la sophistication agréable de l’équipement de survie. Lorsque les Fremen insèrent des tubes de siphon dans les cadavres de leurs ennemis, garantissant qu’aucune goutte précieuse de liquide ne soit gaspillée, la construction du monde prend une dimension physique intimiste et nauséabonde. Mais le cinéma perd un peu de son pouvoir de persuasion à grande échelle : « Dune » fait déjà des comparaisons pieux avec la trilogie « Le Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson, mais, malgré toute la hauteur impressionnante et la frénésie des séquences de combat de Villeneuve, ils n’ont pas l’image de Jackson. la grandeur pop-wagnérienne, son flair exultant de film B.

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Villeneuve explore occasionnellement l’univers au-delà d’Arrakis, ce qui ne fait que vous donner envie de retourner à Arrakis. Une oasis de verdure entoure l’empereur fourbe (Christopher Walken) et sa fille, la princesse Irulan (Florence Pugh), mais le changement de décor est pratiquement annulé par la solennité incolore des personnages. Plus pâle encore est la redoutable planète Giedi Prime, où le directeur de la photographie Greig Fraser opère un changement radical de palette vers le noir et blanc, comme pour souligner la qualité vampirique du fascisme des Harkonnens. Ici, le méchant baron rance Vladimir Harkonnen (Stellan Skarsgård) trempe dans un pot de chaudrée huileuse, tandis que son répugnant neveu, Feyd-Rautha, se prépare à lui succéder en tant que psycho-méchant en chef. Feyd-Rautha est joué, de manière amusante, par Austin Butler, qui a les sourcils rasés, la voix skarsgårdienne et tout à fait méconnaissable en tant que star d’« Elvis » (2022). Quel arc : depuis l’impressionnement des foules à Las Vegas jusqu’aux gladiateurs frissonnants dans une réplique monochrome du Caesars Palace.

Vous n’avez pas besoin d’avoir lu une page d’Herbert pour deviner que Feyd-Rautha prendra en compte la confrontation décisive de ce film. Mais, alors même que « Dune : Part Two » se dirige vers un combat à moitié satisfaisant de récompense impériale, je me suis retrouvé à opposer Butler à un autre challenger : pas Chalamet mais Sting, qui, se pavanant et transpirant dans des sous-vêtements galactiques dans « Dune » de David Lynch ( 1984), a capturé un peu plus la menace sexuelle louche de Feyd-Rautha. Ceux d’entre nous qui conservent un penchant obstiné pour l’adaptation tant décriée de Lynch sentiront ce qui manque à celle de Villeneuve : une densité imaginative, un soupçon de danger psychoérotique, la vivacité grotesque et grouillante d’un monde entièrement habité. Non que cela perturbe le sommeil de qui que ce soit, et encore moins des dirigeants qui dirigent la Maison Hollywood. Le seul monde qui compte ici est celui que ce « Dune », messie du box-office, a déjà conquis. Le pouvoir sur les épices est le pouvoir sur tout. ♦

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