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La tragique histoire de la rage : le cas des époux Benoit

La tragique histoire de la rage : le cas des époux Benoit

Par Laurent REBOURS Publié le 3 Déc 23 à 17:36 Voir mon actu Suivre Actu Chartres Retrouvez chaque dimanche sur Actu Chartres, une chronique eurélienne d’Histoire et d’histoires proposée par Alain Denizet. Professeur, historien, écrivain d’Eure-et-Loir, il regroupe depuis des années l’ensemble de ses chroniques sur son site.1er août 1829, face à la rage.Le 22 août 1829, le préfet d’Eure-et-Loir sollicite l’aide du maire de Chartres à propos de la veuve Benoit, humble journalière de Vovos…Serait-il possible de « la faire entrer à l’hospice et la mettre dans une chambre particulière pour connaître son état et lui faire donner des soins que sa position paraîtrait exiger ? » La « position » de cette femme enceinte de six mois n’est pas banale. Son mari, âgé de 22 ans, est décédé « à la suite de plusieurs accès de rage ».Deux jours plus tard, le maire de Chartres – soulagé ? – oppose un refus poli au préfet. Aucune chambre n’est disponible.Mordu à la joue par un petit chien basset L’histoire des époux Benoit concentre questions et hantises associées à la rage – on dit alors hydrophobie – soixante ans avant le vaccin de Pasteur. Revenons au fait : comment Benoit a-t-il contracté la rage ? Au maire de Voves qui enquête à la demande du préfet, ses parents révèlent que leur fils « avait été mordu il y a environ sept mois [1] [en février 1829] par un petit chien basset à la joue en jouant avec lui, que le même jour il fut à la chasse avec ce même chien dans les bois de Genonville. Le lendemain, le chien disparut. Le bruit se répandit qu’il était parti enragé ». Très inquiet, le jeune homme demanda conseil au vétérinaire de Voves chez qui, justement, il faisait de la maçonnerie. Ce dernier lui demanda si le chien avait mangé après l’avoir attaqué. Comme Benoit opinait du chef, le vétérinaire « lui dit qu’il n’y avait rien à craindre ». Vidéos : en ce moment sur ActuEt Benoît épouse Marie-Louise Un homme mordu par un chien enragé (©DR)C’est l’esprit apaisé que Benoit épousa Marie-Louise Garnier le 19 mai 1829, de sept ans son aînée, enceinte de trois mois. Benoit ne reçut donc aucun soin après que sa joue ait été saisie par les crocs du basset. Or, certains traitements étaient réputés efficaces à la condition d’être promptement administrés. Selon Le Messager des Chambres du 28 juin 1829, il fallait « laver la morsure avec une dissolution de chlorure de soude ou de chaux » ou bien « appliquer un fer rougi sur la plaie ». Quant au Journal politique du département de l’Aube du 8 juillet 1829, il rapportait une méthode éprouvée en Angleterre : « Couvrir la place mordue d’autant de poudre à tirer qu’il en faudrait pour amorcer un fusil, y mettre le feu. »Les premiers signes de la maladie et la mort foudroyante Le 30 juillet, Benoit déclara les premiers signes de la maladie. Le 1er août, il décédait à son domicile, victime d’une mort foudroyante commune à tous les cas de rage. Le commissaire de police de Chartres apporte deux précisions sur son état clinique : d’une part, « les draps du lit étaient souillés d’écume qu’il y avait jetée étant couché » ; d’autre part, il était visiblement très agité puisque sa sœur le faisait boire au biberon « pendant les instants où il était tranquille [2] ». Anxiété, spasmes, difficulté à déglutir et hydrophobie (d’où le biberon), Benoit présente les symptômes habituels [3]. Même si lors de cas similaires, certains praticiens y voyaient les effets d’une hallucination, du tétanos ou encore de l’épilepsie… Bosquillon (1744-1814) estimait même que les malades ne mouraient pas de la rage, mais de la terreur qu’elle inspirait [4]. « Obligés de le saigner et de l’étouffer » « Obligé de l’étouffer ». Benoit était appelé Lenfant. Extrait du rapport du commissaire de police de Chartres au préfet. AD, 4 M 204 bis. (©DR)Les proches de l’enragé ont accompagné son calvaire et ont tout entrepris pour le sauver. Sa sœur et ses parents viennent l’assister à son domicile. Le 1er août, tentant le tout pour le tout, sa femme et un oncle charretier le transportent à Chartres pour « consulter un médecin ». Sans résultat. Alors le convoi repart pour Voves. L’horreur des derniers moments est consignée en quelques mots dans le courrier du commissaire de police au préfet : « On a été obligé de saigner ce malheureux aux quatre membres et de l’étouffer après. » Une saignée pour enlever le « venin » Pourquoi la saignée ? Certains médecins pensaient que la salive de l’animal contaminé contenait un venin qui passait dans le sang [5]. La saignée était donc tout indiquée afin de purger le « mauvais sang ». Pourquoi, surtout, étouffer l’individu enragé ? En cas de fureur, Antoine Portal (1742-1832) préconisait « de lier les malades dans leur lit » mais ajoutait « combien il serait cruel de les étouffer comme on l’a fait pendant plusieurs siècles ».Pourtant, cette pratique, écrit l’historien Jean Théodorides, a survécu dans les campagnes jusqu’à l’époque de Pasteur [6]. Il s’agissait d’abréger les souffrances mais aussi de se prémunir des accès de violence et d’une éventuelle transmission, objet des préoccupations du commissaire de police. Sa femme avait « quelque chose de hagard dans la vue » Première vaccination contre la rage. Le petit Meister au premier plan, Pasteur au second. L’Illustration, 7 novembre 1885. Coll. personnelle. (©DR)En effet la femme Benoit n’a pas quitté son mari pendant la maladie. Or des témoins notent « qu’elle a quelque chose de hagard dans la vue ». Du futur enfant « on craint qu’il n’apporte en naissant le germe de la rage [7] ». Quant à la sœur et aux parents du malade, ils ont été en contact avec sa salive, la première pour avoir « porté le biberon à sa bouche » afin de le désencombrer en « soufflant dedans » ; les seconds parce qu’ils ont eu « l’imprudence de coucher dans les mêmes draps qui étaient encore souillés par l’écume de leur fils ». Rassurer ce petit monde ainsi que « les gens du pays » était une impérieuse nécessité. Dans une lettre du 30 août 1829 le maire de Voves notifia au préfet que la situation était maîtrisée. Ils se sont faits administrer un traitement analogue aux circonstances et en ce moment ils sont tranquilles et sans inquiétude suivant le rapport de Vaucoret [l’officier de santé]. Maire de Voves 30 août 1829De ce traitement, nous ne savons rien sinon qu’il était… forcément inefficace.Épilogue et tournant décisif le 6 juillet 1885. Pasteur procède avec succès à la vaccination du jeune Joseph Meister, mordu par un chien enragé [8]. En France métropolitaine, les deux derniers cas recensés datent de 1924 et 2019. Mais dans le monde, la maladie provoque environ cinquante-mille morts par an, principalement en Asie et en Afrique. Des notes [1] La durée d’incubation de la rage est habituellement de deux à trois mois, mais peut aller d’une semaine à un an. [2] Lettre au préfet, 22 août 1829. AD, 4 M 204 bis. [3] On sait aujourd’hui que le virus rabique infecte le système nerveux, perturbe les neurones, notamment ceux qui régulent l’activité cardiaque ou la respiration. [4] Cependant, à la même époque, d’autres savants démontrent qu’il existe bien une rage transmissible. [5] Boissier de Sauvages (1706-1767) dans sa Dissertation sur la rage. [6] Jean Théodorides, De la rage en France au xviiie siècle, p. 112 www.biusante.parisdescartes.fr [7] Née le 5 novembre 1829, Marie-Rosine Benoit décéda le 12 janvier 1830. [8] Aujourd’hui, on ne sait toujours pas guérir la rage. Seule la vaccination antirabique, pratiquée immédiatement après la morsure permet d’éviter à coup sûr l’apparition de la rage. Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.
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2023-12-03 19:36:04

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