L’emménagement ne remonte qu’à quelques jours, mais le mur du bureau de Clarisse Serre est déjà rempli des cadres qui racontent une partie d’elle. Ici, des croquis d’audience. Là, la une du Parisien Magazine où elle partage la vedette avec la comédienne Audrey Fleurot. Des cours d’assises aux plateaux de tournage, cette pénaliste de 52 ans navigue entre deux univers qui l’épanouissent. Une trajectoire atypique renforcée par la décision, prise il y a près de dix ans, de quitter Paris pour installer son cabinet… en Seine-Saint-Denis !
C’est par un chapitre intitulé « Bobigny » que « la Lionne du barreau » a fait le choix d’ouvrir le livre du même nom (Éditions Sonatine, 185 pages, 20 euros)dans lequel elle revient sur son parcours, raconte les figures du grand banditisme qu’elle défend et livre sans ambages sa vision des systèmes judiciaire et carcéral, de #MeToo aussi.
Lassée par la lourdeur de plusieurs procès d’assises à Paris, l’avocate aspire alors à des dossiers « plus simples ». Gérard Zbili, un confrère, lui suggère la Seine-Saint-Denis. Lui-même venait de gagner le Val-de-Marne. « Je lui ai dit qu’il n’y avait pas que le Triangle d’or, et qu’il y avait une forme d’audace à faire valoir en s’installant dans des zones improbables », se souvient-il, saluant au passage la « fougue » de sa cadette.
« On ne rencontre que des gens dans la difficulté. Il faut l’encaisser »
Clarisse Serre saute le pas et le périphérique en 2013. « C’était un challenge, rappelle-t-elle. En tant que pénaliste, on est très peu dans son cabinet. Alors pourquoi occuper des locaux haussmanniens ? » Elle s’installe d’abord rue de l’Indépendance, à deux pas du tribunal. Son nouveau cabinet se trouve rue de Champagne. Dans les deux cas, elle y voit un signe.
« On entend les poules, et j’ai un petit jardin où je peux prendre le café », savoure-t-elle lorsqu’elle nous reçoit ce matin-là. Le calme qui y règne compense la dureté du métier : « On ne rencontre que des gens dans la difficulté. Il faut l’encaisser. » Dans son livre, l’avocate fait un aveu : elle ne supporte plus de rendre visite à ses clients en prison.
En partant pour la Seine-Saint-Denis, la pénaliste a gagné en qualité de vie professionnelle ce qu’elle a perdu en « prestige » : « Le chemin naturel, c’est de quitter Lille pour Paris comme l’a fait Dupond-Moretti. Pour certains dossiers, ne pas être à Paris, c’est une barrière. Il n’y a pas un avocat de Bobigny qui défende un député. » Me Zbili confirme. « Si un client vous juge à votre adresse ou à l’épaisseur de votre moquette, c’est sans doute qu’il ne mérite pas qu’on le rencontre », ironise-t-il.
Des clients sulfureux « qui ne sont pas des tendres »
Si les personnalités politiques l’ignorent, les voyous se bousculent à son cabinet. « Être choisie par des gars comme ça, qui ne sont pas des tendres, alors qu’on est une femme, c’est une marque de respect », observe son amie Anne Landois. Parmi ses clients les plus « célèbres » figurent l’un des neveux de la fratrie Hornec de Montreuil, les membres du cercle de jeux Wagram ou Zaher Zenati, l’un des complices de la spectaculaire évasion d’Antonio Ferrara de la prison de Fresnes (Val-de-Marne) en 2003.
Jeune, elle imaginait défendre « la veuve et l’orphelin ». Son passage par le cabinet de Pierre Haïk et Jacqueline Laffont lui fait emprunter un autre chemin. Mais demeure la « vocation » de combattre l’injustice. « Ce qui m’anime, c’est la défense, dit-elle. On défend des hommes, pas des actes. »
Il y a dix ans, l’une de ses plaidoiries à Bobigny a convaincu la scénariste Anne Landois de s’attacher ses services. En quête du fil rouge de la prochaine saison de la série « Engrenages », la « showrunneuse » cherchait aussi à renforcer la crédibilité du personnage incarné par Audrey Fleurot, l’ambitieuse avocate Joséphine Karlsson. « Clarisse est très bavarde et très généreuse, décrit-elle. Très vite, je me suis dit : C’est la consultante qu’il me faut. »
La pénaliste officie sur les saisons 5, 6 et 7, s’essaye à la figuration et se lie d’amitié avec Caroline Proust, l’interprète de la commissaire Laure Berthaud. Vendue dans plus de 100 pays, la fiction de Canal + est considérée comme une référence par les milieux judiciaires et policiers. « Les clients m’en parlaient, les juges m’en parlaient, les avocats m’en parlaient », glisse la pénaliste dans un sourire.
Son parcours a inspiré une série bientôt diffusée sur Canal +
Il devrait en être de même de la prochaine fiction à laquelle elle collabore, toujours au côté d’Anne Landois. « On se met en lumière l’une et l’autre », souligne cette dernière. Dans « 66.5 », une série dont les huit épisodes seront diffusés l’an prochain sur Canal +, une jeune avocate incarnée par Alice Isaaz décide de quitter les beaux quartiers parisiens pour revenir… en Seine-Saint-Denis.
« Le parcours de Clarisse m’a beaucoup inspirée, reconnaît la scénariste. Partir s’installer en banlieue, là où se trouve sa clientèle, c’est quelque chose d’extrêmement courageux. J’ai travaillé avec Clarisse de façon très étroite sur ce projet. Je l’ai suivie dans tellement d’affaires, de procès… Quand elle décortique un dossier, rien ne lui échappe. Et quand elle plaide, elle sèche tout le monde. »
Bobigny, « une ruche permanente »
Le tournage s’est notamment déroulé au tribunal de Bobigny durant le mois de juillet, période de vacances judiciaires. Des scènes ont été tournées dans les salles d’audience et la salle des pas perdus. Les bureaux des magistrats, inaccessibles, ont été reconstitués dans les studios de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne).
« L’actrice principale de cette série, c’est la cité judiciaire, insiste Clarisse Serre. Les tribunaux de Versailles ou de Nanterre ont souvent été utilisés comme lieux de tournage, mais je n’ai pas le souvenir que ce soit le cas de Bobigny. Bobigny, c’est comme Pompidou, une architecture qu’on reconnaît tout de suite. C’est aussi une ruche permanente, où l’on peut encore rencontrer des magistrats alors qu’il s’agit pourtant de la deuxième juridiction de France. » Des magistrats face auxquels la Lionne n’a pas fini de rugir.
2022-10-08 10:00:00
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