Le festival symbolise non seulement la biodiversité agricole de la région, mais aussi comment les pauvres et les femmes ont retrouvé leur dignité et leur autonomie. Le Mobile Biodiversity Festival est organisé par l’ONG indienne Deccan Development Society (DDS) dans l’État d’Andhra Pradesh, au sud-est, depuis 1999. Depuis 25 ans, l’organisation travaille avec les femmes dalits (dites intouchables) de la région de Zahirabad Mandal pour la préservation de la diversité biologique et dans le domaine de la souveraineté alimentaire contre les cultures génétiquement modifiées, les monocultures et les semences protégées sous licence, qui mettent gravement en danger la richesse écologique et les agriculteurs qui ont transmis les leurs volent le savoir. L’événement vise à redécouvrir les valeurs associées à l’agriculture traditionnelle.
Le Jathara (festival) organisé par la DDS est basé sur le Makar Sankranti, un festival hindou qui a lieu en janvier dans les états du Maharashtra, du Karnataka et de l’Andhra Pradesh. Des milliers de cerfs-volants, pilotés par des enfants expérimentés, s’envolent alors pour célébrer l’arrivée du printemps et l’épanouissement des récoltes.
Lors du Mobile Biodiversity Festival, organisé cette année pour la 23e fois de la mi-janvier au 11 février, une longue file de charrettes ornées de feuilles de mangue, de graines et d’épis de sorgho de bon augure, et tirées par des bœufs, défilent dans les villages du district de Medak. Ils seront accompagnés de musiciens et de danseurs pour sensibiliser aux variétés végétales durables et célébrer l’importance de l’alimentation locale. La caravane s’arrête devant les églises, les mosquées et les temples pour symboliser l’unité de toute spiritualité. Pendant le Jathara, les sabots des bœufs sont symboliquement baignés d’actions de grâces et leur bouche frottée d’épices. Une noix de coco est fendue pour révéler la chair blanche qui symbolise la pureté du cœur, tandis que les femmes accompagnent la cérémonie d’un chant de réconciliation sur la récolte qu’elles ont apportée. Pendant les semaines de célébrations, les habitants des différents villages se rassemblent sous de grandes tentes rondes pour des entretiens et des rassemblements, en présence de nombreux invités de différentes régions de l’Inde.
La réintroduction du mil – soutenu par le festival – qui, contrairement au riz, ne nécessite pas de grandes quantités d’eau pour pousser et n’épuise pas les sols, est la réponse durable pour une terre semi-aride comme celle de la région. La redécouverte du millet aide également les agriculteurs à devenir indépendants de l’achat de nouvelles semences et de pesticides. Cela leur permet de redevenir eux-mêmes producteurs.
Les 75 villages participant au projet DDS peuvent utiliser gratuitement les semences obtenues à chaque récolte. Il est ensuite stocké dans des pots en terre cuite dans la banque de graines. Les femmes sont les gardiennes des graines. Par le biais du sangham, un rassemblement qu’ils président pour résoudre les problèmes économiques, juridiques et sociaux, ils participent activement à la vie de la communauté, malgré leur appartenance à une caste qui les a marginalisés.
L’intégration des femmes dalits ainsi réalisée leur a permis de sortir de l’isolement social dans lequel elles étaient contraintes et d’acquérir autorité et indépendance économique. Analphabètes, ils s’expriment par le biais d’émissions radio et vidéo : sur la fréquence FM 90.4, de 19h à 21h le soir, à la fin des travaux des champs, Radio Sangham listen, la première station entièrement féminine en Asie. Le groupe de vidéastes a une longue liste de documentaires qui les ont amenés à des événements à travers le monde. Ce faisant, ils ont pu transcender les frontières imposées par la caste, le sexe et les lois du marché mondial.
Ce reportage s’inscrit dans un projet de longue haleine, toujours en cours, visant à recueillir les témoignages des agriculteurs du monde et de leurs traditions à travers des photos, des interviews et une narration orale.