En février 2022, le doyen de la Faculté d’éducation de l’UQAM, Jean Bélanger, déclarait au Journal de Québec qu’il était fermement opposé à l’idée de donner un brevet à rabais. Il réagissait alors aux sept priorités du ministre Bernard Drainville en tant que président de l’ADÉREQ, l’association représentant les doyens des facultés d’éducation.
Jean Bélanger, qui compte plus de 20 ans d’expérience au Département d’éducation de l’UQAM, était très perplexe face à la proposition du ministre. Il estimait que les choses allaient trop vite et a déclaré que la sortie du ministre Drainville a eu un effet d’électrochoc.
Malgré ses réticences, Jean Bélanger souhaitait lutter contre la pénurie d’enseignants, mais seulement en respectant les normes de qualification exigées pour cette profession. Il a interpellé tous les professeurs de la faculté en disant qu’il fallait faire quelque chose, et a rapidement lancé le projet de création d’un programme de qualification rapide pour les enseignants non légalement qualifiés.
Elaine Turgeon a aidé à la conception du nouveau programme de l’UQAM, qui vient d’être approuvé à l’interne pour un démarrage officiel à l’automne 2024.
Photo : Radio-Canada / Patrick André Perron
Élaine Turgeon, directrice de l’Unité des programmes de 1er cycle en éducation préscolaire et en enseignement primaire, a également contribué à la conception du programme. Elle affirme que l’objectif était de contribuer et d’aider à sa façon.
[Si on ne fait pas ça], on laisse les gens qui ne sont pas formés dans les classes et on prend le risque que [leurs élèves] ne fassent pas les apprentissages nécessaires, qu’ils accumulent un retard, et après, on va avoir un problème de société.
Jean Bélanger insiste sur le fait qu’il a interpellé tous les professeurs de la faculté pour lancer le projet et qu’une fois qu’ils ont levé la main, les choses se sont placées très rapidement, grâce à l’effort et à l’implication de tous les acteurs impliqués.
Ce projet de programme de qualification rapide, qui a été approuvé par l’UQAM pour un démarrage officiel à l’automne 2024, sera le premier programme de ce type permettant rapidement à des professeurs de se qualifier par une formation offerte en présentiel, et non entièrement à distance comme d’autres formules existantes.
La TÉLUQ propose un programme de 30 crédits pour qualifier les enseignants non légalement qualifiés qui enseignent déjà au primaire, mais la formation est entièrement donnée à distance. Même chose pour la voie rapide de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) qui vise l’enseignement au secondaire. Les formations de l’UQAM, de la TÉLUQ et de l’UQAT concernent toutes les enseignants non légalement qualifiés qui sont déjà embauchés dans le réseau scolaire.
Selon les plus récents chiffres du ministère de l’Éducation, plus de 7000 personnes non légalement qualifiées ont un contrat à temps plein ou à temps partiel actuellement. En incluant les suppléants, ce chiffre bondit à 30 000, selon la vérificatrice générale du Québec.
Étant donné la situation critique de pénurie d’enseignants, Elaine Turgeon explique qu’il est possible d’aller beaucoup plus rapidement avec des personnes qui ont déjà de l’expérience dans les classes du primaire et des élèves du primaire, par rapport à des étudiants qui sortent du cégep sans expérience professionnelle.
Elle précise que le nouveau programme de l’UQAM est une formation dans l’action, et n’est pas juste une manière d’obtenir le papier, mais elle permet aussi le développement de compétences avec toute la rigueur exigée d’une formation universitaire.
Pour être acceptés à l’UQAM dans ce programme, les futurs brevetés devront avoir déjà en main un baccalauréat et avoir été sélectionnés par le centre de services scolaire qui les emploie avec une charge de travail d’au moins 60 %.
Présentement, le seul centre de services scolaire partenaire de l’UQAM dans ce projet est le Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île (CCSSPI).
Des résultats prometteurs, selon l’UQAM et le CSSPI
Un projet pilote avec huit étudiants a permis de peaufiner le programme qui sera officiellement offert à l’automne. Tous les étudiants sont des enseignants non légalement qualifiés dans une école du CSSPI, dans l’est de Montréal.
Le programme propose un avantage unique, selon le CSSPI: les étudiants sont encadrés par une équipe de l’université et ne sont pas laissés à eux-mêmes une fois les cours terminés ou des capsules vidéo visionnées. Une vingtaine de professeurs de l’UQAM supervisent les futurs brevetés jusque dans leurs classes.
Elaine Turgeon précise que le programme est composé de cours multidisciplinaires structurés autour des temps forts d’une année scolaire complète, comme la préparation aux examens et la remise des bulletins, et non dans une logique traditionnelle de cours unithématique de 45 heures.
Selon Martin Duquette, directeur général adjoint du CSSPI, il est important que cette qualification légale soit liée à un développement de compétences avec toute la rigueur qu’exige une formation universitaire.
Est-ce que notre programme à l’UQAM est unique? Je pense que oui. On a trouvé une formule qui nous convient et qui, jusqu’à maintenant, semble bien fonctionner.
affirme-t-il.
Martin Duquette souligne également l’importance d’une plus grande flexibilité des universités, sans pour autant sacrifier les standards de qualité de la formation, mais en les adaptant à la réalité d’aujourd’hui.
Martin Duquette, directeur général adjoint du Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île (CCSSPI).
Photo : Radio-Canada / Patrick André Perron
Nassima Menour, l’une des huit étudiantes du projet pilote, témoigne de la pertinence de cette souplesse. Cette mère de trois enfants, qui travaille déjà comme enseignante dans trois classes du CSSPI, apprécie le suivi personnalisé offert par l’UQAM et est enchantée par les premiers cours suivis jusqu’à présent dans ce nouveau programme.
C’est un programme qui est vraiment fait sur mesure pour moi, pour mes besoins. Cette formation va m’outiller et me permettre d’exercer mon métier à 100 % et de donner un service de qualité.
Qualifier rapidement tout en respectant la qualité de la formation
Martin Duquette souligne le défi de former ces personnes extraordinaire qui lèvent la main à suivre la formation, tout en respectant leurs horaires déjà chargés.
On n’a rien vu encore par rapport à la pénurie.
Élaine Turgeon enseigne un samedi après-midi aux participants du projet pilote, dont Nassima Menour.
Photo : Radio-Canada / Patrick André Perron
Selon les prévisions du ministère de l’Éducation, il est estimé que plus de 14 000 enseignants, dont 6000 affectés à un poste à temps plein ou partiel, manqueront à l’appel d’ici quatre ans. Jean Bélanger rêve de qualifier à terme près d’une centaine de professeurs par année via ce nouveau programme, mais insiste sur l’importance de la qualité de la formation malgré sa rapidité.
L’UQAM est également en train de remanier son baccalauréat menant au brevet d’enseignement au préscolaire et au primaire en veillant à maintenir des standards et une rigueur similaires à une formation universitaire, tout en étant plus souples pour refléter la réalité d’aujourd’hui.
Martin Duquette reconnaît que leur risque d’aller vite dans la mise en place de ce programme est motivé par la pression de répondre à la pénurie d’enseignants, mais soulève la nécessité de réviser les programmes établis au Québec depuis la sortie du ministre Drainville pour s’assurer de la qualité de la formation.
Un amendement ajouté au projet de loi 23 permet officiellement aux formations courtes de l’UQAT, de la TÉLUQ et de l’UQAM de mener au brevet d’enseignement. Les diplômés se verront d’abord délivrer un permis probatoire d’enseigner, suivi d’un stage probatoire de 600 à 900 heures sous la responsabilité de l’employeur avant d’obtenir leur brevet d’enseignement.