Génération Gaza : Analyse de l’article de junge Welt

Le rappeur américain Macklemore est actuellement vivement critiqué. la raison : sa participation prévue au festival Deichbrand en Basse-Saxe en juillet. Comme ce fut le cas pour Roger Waters, on l’accuse d’antisémitisme – notamment le Conseil central des Juifs – et des appels à l’annulation de ses concerts sont lancés. Qu’en penser ?

Eh bien, les accusations sont toujours les mêmes. Quelqu’un s’exprime en faveur de la Palestine, et on lui reproche ensuite de tenir des propos antisémites liés à Israël – alors qu’il s’oppose à toute forme de discrimination et n’a fait aucune déclaration antijuive. Il s’agit donc en réalité d’un instrument politique visant à annuler ou du moins à faire taire les voix indésirables. Le fait que ses vidéos pro-palestiniennes programmatiques sur Youtube soient frappées de *shadow banning* et assorties d’une restriction d’âge ne fait que renforcer cette suspicion.

Macklemore est-il un artiste politique ?

Macklemore est plutôt considéré comme un artiste *feel-good* qui aborde parfois des thèmes de société.Il y a une chanson dans laquelle il traite de la question LGBTQ,et on pourrait se demander pourquoi il s’intéresse précisément à la Palestine maintenant. Mais peut-être représente-t-il à ce stade une génération qui a vécu avec la guerre de Gaza une sorte de moment Vietnam. La « génération Gaza », qui s’est politisée et radicalisée à ce sujet et adopte donc une position clairement partisane.

En particulier, la vidéo de la chanson « Fucked up » fait scandale : elle juxtapose la célèbre photo du garçon du ghetto de Varsovie les mains levées avec des images d’un enfant palestinien de Gaza dans une pose similaire. Est-ce problématique ?

Les forces de droite pro-israéliennes parlent immédiatement de « relativisation de l’Holocauste ». Personnellement, je ne suis pas favorable à ce que les artistes fassent constamment des comparaisons avec le nazisme. mais on peut aussi le comprendre comme un appel universaliste. Personne ne meurt différemment d’un autre. Personne ne souffre différemment. Les parents palestiniens pleurent leur enfant mort, déchiqueté par une bombe aérienne, avec la même douleur que les parents juifs dont l’enfant a été tué dans le gaz. Il ne sert à rien non plus de souligner la singularité de l’Holocauste. La douleur est la même, et il est donc compréhensible que dans les œuvres artistiques qui traitent de cette souffrance, on recherche des images qui montrent ces parallèles. Un appel à la société : si vous reconnaissez cette souffrance, alors reconnaissez aussi l’autre souffrance ! Sur un plan très personnel, c’est la même forme d’injustice, la même forme d’oppression.

Quel est le but de la campagne contre Macklemore ?

La campagne contre macklemore s’inscrit dans une série d’actions de la politique allemande officielle visant à discréditer les positions pro-palestiniennes. Yanis varoufakis s’est vu interdire l’entrée du territoire lorsqu’il a voulu assister au congrès palestinien il y a un an. Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens, est déprogrammée de la FU sous la pression politique, un animateur de KIKA perd son emploi parce qu’il était dans un camp de solidarité en Cisjordanie, des gens perdent leur emploi lorsqu’ils s’expriment en faveur de la palestine sur les réseaux sociaux, des associations féministes perdent leur financement parce que leurs collaboratrices étaient à des manifestations pro-palestiniennes, quatre étudiants étrangers doivent être expulsés en raison de leur participation à des occupations universitaires pro-palestiniennes, et ainsi de suite. Il est donc logique qu’un rappeur ayant cette portée soit attaqué en conséquence.

Vous avez beaucoup étudié l’antisémitisme dans le hip-hop.Pouvez-vous nous donner un exemple de chanson à caractère antisémite ?

Le rappeur allemand Kollegah utilise, à mon avis, un langage visuel classiquement antisémite dans la chanson « Apokalypse » (de 2016).Le diable y porte une bague avec une étoile de david, la bataille finale entre le bien et le mal se déroule en Israël-Palestine, où les armées des ténèbres, sous la forme de deux peuples juifs, sont réveillées par une société secrète qui possède un livre vieux de plusieurs milliers d’années. Les derniers hommes se rassemblent à Jérusalem-Est dans le Dôme du Rocher, tandis qu’autour d’eux des hordes de démons sortent de leurs trous, le coup final contre le diable lui-même ayant lieu dans le quartier des banques de Londres, relié par un portail magique.

tout cela est assez fou et rappelle beaucoup les idées antisémites sur l’ordre mondial de Necmettin Erbakan, le père spirituel politique d’Erdoğan. Celui-ci prétend en effet que l’Occident est gouverné par « un impérialisme raciste, le sionisme ». Celui-ci aurait été créé il y a 5 765 ans par un « livre magique appelé Kabbale », et il y aurait donc une conspiration mondiale sioniste qui aurait également créé la « secte du protestantisme » et l’aurait chargée d’établir l’ordre capitaliste – c’est pourquoi le sionisme est une croyance et une idéologie dont le centre se trouve dans les banques de wall Street à New York. Si l’on regarde la vidéo de Kollegah pour cette chanson de ce point de vue, tout y est. La division du monde en bien et mal, les banques comme centre de contrôle des événements mondiaux, la société secrète et le livre magique ancestral. Dans la vidéo, on voit aussi un corbeau diabolique sauver ce livre des flammes de la destruction – ce qui signifie que le combat continue. Et ce, bien que les chrétiens, les musulmans et les bouddhistes vivraient pacifiquement ensemble après la prétendue bataille finale. Le fait que les Juifs soient absents de cette énumération n’a probablement pas seulement à voir avec la métrique.

Comment la scène musicale peut-elle se soustraire aux demandes de censure et d’annulation de plus en plus fortes ? Les grands organisateurs de concerts,mais aussi les magazines musicaux spécialisés,ont-ils une conscience critique,la critique d’Israël est-elle distinguée de l’antisémitisme ?

J’ai l’impression que dans la scène culturelle officielle,c’est-à-dire l’establishment culturel étroitement lié au ministère de la Culture,il n’y a pas conscience du fait que l’accusation d’antisémitisme est instrumentalisée. La peur d’énoncer quelque chose de faux y règne, et l’on se plie volontiers à la définition de l’antisémitisme qui a été adoptée par le Bundestag.Je pense que dans ces cercles, on ne se penche pas vraiment sur ce thème, car il faudrait alors aussi se pencher sur son propre racisme.

De plus, la politique officielle a très bien réussi à impliquer les couches dites progressistes et libérales de gauche en vendant la géopolitique impérialiste de l’Occident comme une lutte pour la démocratie progressiste, pour les droits de l’homme, pour le féminisme et les droits LGBTQ. Cette propagande fait mouche. On le voit avec la guerre en Ukraine et la mobilisation qui l’accompagne pour les objectifs de guerre de l’Occident contre les « violeurs russes »,on le voit avec la propagande constante pour la militarisation et le réarmement,où il ne s’agit toujours que de défendre « notre démocratie ».On le voit aussi dans la couverture médiatique de la guerre d’Israël contre les Palestiniens, qui ne se fait jamais sans mentionner le massacre du Hamas du 7 octobre. ce qui s’est passé avant le 7 octobre n’a aucune pertinence, et ce qu’Israël fait aujourd’hui n’est qu’une réaction aux viols massifs du Hamas et à la décapitation barbare de 40 bébés juifs. Que ces événements aient eu lieu ou non est totalement hors de propos. C’est ainsi que fonctionne la propagande, et cette propagande fonctionne.