les Azmaris et l’ethiopiyawi Électronique : Chronique d’une Résistance Musicale
Table of Contents
- les Azmaris et l’ethiopiyawi Électronique : Chronique d’une Résistance Musicale
- Les Azmaris et l’Ethiopiyawi Électronique : Chronique d’une Résistance Musicale
- Les Azmaris : Gardiens de la Culture et Voix du Peuple Éthiopien
- L’Évolution des Azmaris au XXe Siècle : Censure et Résistance
- Ethiopian Records et l’Émergence de l’Ethiopiyawi Électronique
- “Présenter nos imaginaires basés sur notre héritage traditionnel”
- FAQ : Les Azmaris et l’Ethiopiyawi Électronique
Addis-Abeba – 10 Mai 2024 – On plonge au cœur de l’Éthiopie pour explorer le rôle essentiel des Azmaris, musiciens traditionnels, et l’émergence de l’Ethiopiyawi électronique. Qui sont ces artistes ? Qu’est-ce que l’Ethiopiyawi ? Où se trouve cette musique hybride ? Quand et comment cette résistance culturelle a-t-elle pris forme ? Pourquoi est-elle si importante aujourd’hui ? Les Azmaris, gardiens de la culture, ont su braver la censure et s’adapter aux défis du XXe siècle. Découvrez comment ils perpétuent leur héritage, influençant une nouvelle génération grâce à l’Ethiopiyawi électronique… et réinventent la musique.
Les Azmaris et l’Ethiopiyawi Électronique : Chronique d’une Résistance Musicale
Les Azmaris : Gardiens de la Culture et Voix du Peuple Éthiopien
Artistes, critiques sociaux, et gardiens de la culture, les Azmaris ont toujours joué un rôle central en Éthiopie. Dérivant du mot amharique mazammar
, signifiant chanter, ces poètes-musiciens itinérants sont profondément enracinés dans les traditions rurales.Ils excellent dans la maîtrise d’instruments tels que le masenqo, un instrument à cordes frottées apparenté au râbab, le krar, une harpe proche de la lyre, et le washint, une flûte. Ces musiciens sont réputés pour leurs paroles vives, souvent improvisées en réponse aux événements sociaux et politiques du moment.
Les Azmaris de Showa, situés au center du pays, sont reconnus pour leur expertise dans la fabrication d’instruments. En revanche, les Azmaris de Kafficco se concentrent sur la préservation des histoires orales, à l’instar des griots d’afrique de l’Ouest.
Avant l’essor de la presse et des médias de masse, l’État éthiopien utilisait les Azmaris pour diffuser les discours importants et les programmes politiques. Inversement,ces musiciens publics pouvaient également se faire les porte-parole des revendications populaires. En temps de conflit, les Azmaris étaient essentiels pour mobiliser la population, notamment pour la défense nationale. Un exemple frappant est la bataille d’Adwa en 1896, où l’empereur Menelik a vaincu les envahisseurs italiens. Les Azmaris ont alors marché et joué aux côtés des troupes éthiopiennes.
L’Évolution des Azmaris au XXe Siècle : Censure et Résistance
Pris entre les réformes politiques et les avancées technologiques, le rôle des Azmaris a évolué tout au long du XXe siècle. Sous le règne d’Hailé Sélassié,de 1930 à 1974,ils ont été soumis à une censure totale de la part de l’État. Les musiciens ne pouvaient plus exprimer de critiques politiques ni de doléances publiques. Aujourd’hui, les médias d’État ont remplacé la musique Azmari comme principal moyen de communication officielle, reléguant ainsi les Azmaris au rang de simples amuseurs.
Malgré l’influence croissante des styles musicaux internationaux et des instruments occidentaux, les musiciens azmaris ont réussi à établir de nouveaux espaces culturels tout au long de la seconde moitié du xxe siècle et jusqu’à aujourd’hui.
Cette résistance musicale a été portée par des artistes tels que Baheru Kegne et Yirga Dubale, qui ont été parmi les premiers à enregistrer le son des Azmaris sur cassettes et disques. Asnatqètch Wèrqu, actrice et reine du théâtre éthiopien, mais aussi talentueuse joueuse de krar, a soutenu ce marché de la musique enregistrée.Au cœur de cette industrie musicale locale en pleine effervescence dans les années 1970,l’Éthiopie a vu l’émergence de bars privés,spécialement dédiés aux artistes. Ces cabarets, appelés Azmari bet, existent encore aujourd’hui, bien que menacés, au cœur de la capitale, en particulier dans le quartier de Kazanchis, haut lieu de la vie nocturne éthiopienne.
Bien qu’elle soit largement urbanisée et électrifiée, la culture Azmari continue de jouer avec les double-sens, les allusions et de questionner, avec humour et métaphores, la société et le pouvoir. Les flèches décochées par les cordes du krar constituent des espaces de liberté rares et précieux en Éthiopie.
Ethiopian Records et l’Émergence de l’Ethiopiyawi Électronique
Endeguena mulu, producteur de musique de 38 ans, s’est donné pour mission de témoigner de la résilience de la tradition Azmari à travers un nouveau genre : l’Ethiopiyawi électronique. Également connu sous le nom de scène Ethiopian Records, Endeguena se définit comme un véritable Azmari électronique, soucieux de préserver les pratiques musicales populaires et traditionnelles tout en leur insufflant de nouvelles respirations créatives, notamment par l’expérimentation et l’approche électronique.
L’Ethiopiyawi utilise tous les outils de composition de la musique électronique mais également de la musique traditionnelle est-africaine, et la musique africaine en général.
Endeguena Mulu,Ethiopian Records
Son objectif est de créer de nouveaux terrains d’expressions grâce aux anciens sons locaux,mêlés aux techniques numériques modernes.
Il ajoute que l’Ethiopiyawi est tourné vers la recherche, l’engagement communautaire, ainsi qu’un profond respect culturel pour la tradition. L’auto-éducation fait également partie intégrante du genre.
Selon lui, c’est cette philosophie qui alimente l’éthique de l’Azmari, créateur, mais aussi critique des normes sociétales.
La découverte et la recontextualisation de sons locaux, le dialog entre les générations sur l’héritage commun, la lecture de textes anciens, les séances avec des instrumentistes, des chanteurs ou des artisans traditionnels… C’est dans ce processus que se révèle la véritable essence de l’électro éthiopienne. L’idée est d’honorer et de préserver les pratiques locales, de présenter de nouvelles perspectives pour les musiques d’Afrique de l’Est, loin des industries créatives dominantes.
À l’instar des Azmaris, qui utilisaient la musique pour critiquer le climat socio-politique, le travail d’Endeguena s’inscrit lui aussi dans la critique sociale. Il explique que la violence du mainstream, l’indifférence générale dans laquelle se répandent les cultures dominantes doit être combattue.
Pour lui,l’Ethiopiyawi est une forme de résistance face au cloisonnement ainsi qu’à l’étiquetage des cultures,selon leur potentiels marchands.
“Présenter nos imaginaires basés sur notre héritage traditionnel”
Endeguena Mulu revisite son héritage à grands renforts de percussions polyrythmiques, de synthétiseurs atmosphériques et de sampling vocal. Son EP Ye Feqer Edaye, sorti chez Warp, offre une expérience de ces ponts entre sonorités éthiopiennes traditionnelles et nouvelles expérimentations électroniques.
Ce long geste pluridisciplinaire et finement documenté a permis à Mulu et à son alter ego musical Ethiopian Records de s’imposer comme un vétéran de la scène musicale électronique d’Addis-Abeba. Le producteur a ainsi aggloméré autour de lui un biotope favorable aux artistes indépendants, et galvanise une communauté de *rookies*, fédérée par exemple autour des très prometteurs Mikael Seifu, Nerliv ou Dotphic.
Cette scène est représentée dans l’incendiaire Boiler Room spéciale Addis-Abeba, sortie début mai. Selon Mulu, c’était l’occasion rêvée pour présenter nos imaginaires basés sur l’héritage traditionnel, mais tournés vers des devenirs indépendants et contemporains.
Il admet que la barre est haute et les difficultés nombreuses
, notamment en raison des difficultés d’accès, des freins à la diffusion, des problèmes financiers ou du manque d’infrastructure. Cependant, il reste optimiste : Malgré ces obstacles, nous sommes optimistes car nous savons que nos camarades continuent à créer, et le public continue à écouter.
Le musicien continue d’arpenter la route de l’élévation, de l’auto-éducation, fort d’une communauté et d’une scène en plein développement. Pionnier et bâtisseur de ponts musicaux, Endeguena ethiopian Records Mulu préserve et ouvre la voie à la jeune génération musicale en Éthiopie.