2023-06-15 08:30:50
Le scientifique : « Ça marche comme un orchestre, maintenant il faut décrypter tout son répertoire »
Nous publions un extrait du discours que l’immunologiste Alberto Mantovani prononcera aujourd’hui à la Milanesiana, l’événement conçu et dirigé par Elisabetta Sgarbi. La réunion a lieu à 21h00 au Volvo Studio de Milan
Dans le livre II de la guerre du Péloponnèse, Thucydide propose peut-être la première description de la mémoire immunologique, propriété fondamentale du système immunitaire, à la base des vaccins, en racontant que ceux qui ont survécu à la peste d’Athènes ne tombent plus malades ou tombent malades en une forme atténuée. J’aime penser au système immunitaire comme à un orchestre, c’est-à-dire à l’harmonie
et complexité. Harmonie avec le monde microbien qui nous accompagne : plus de 90% de notre information génétique est constituée du microbiome extrêmement complexe et varié, situé au niveau gastro-intestinal, l’arbre respiratoire, la peau, mais probablement aussi les organes internes. C’est dans ce contexte que fonctionne le système immunitaire, qui doit reconnaître le “bon” et le “mauvais”. Mais immunité signifie aussi harmonie envers les microbes externes, comme nous l’a rappelé le Covid-19. Notre première ligne de défense, l’immunité dite innée, gère la majorité des rencontres avec des microbes malveillants, tandis que l’immunité adaptative – celle des anticorps – est une arme plus sophistiquée et puissante qui n’entre en jeu que plus tard : nous l’utilisons, aujourd’hui , contre le cancer. Devant cet orchestre extraordinaire, nous avons un défi de connaissance. Nous comprenons encore superficiellement le dialogue entre le système immunitaire et le système nerveux central, nos deux « grands systèmes » extrêmement complexes : cela constitue une frontière en Médecine. Aussi, d
ans notre orchestre immunologique nous ne connaissons pas tous les musiciens, les instruments et le répertoire : on estime que nous ne connaissons pas la signification de près de 20% des molécules codées par notre génome.
La complexité
Une véritable matière noire, indispensable au développement de nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques. La complexité de l’orchestre immunologique nécessite – et nécessitera de plus en plus – de nouvelles approches basées sur l’intelligence artificielle. La carte du corps humain, et en particulier du système immunitaire, est redessinée au niveau de la cellule unique: la définition de cette carte et sa signification dans des conditions normales et pathologiques nécessite des approches d’immunologie des systèmes ou de biologie des systèmes, qui font appel à l’intelligence artificielle. Des approches bioinformatiques qui, en un certain sens, bouleversent la méthodologie de la recherche biomédicale : c’est la machine qui formule des hypothèses, que le chercheur évalue et teste. Un renversement des rôles qui interroge chacun d’entre nous, scientifiques et citoyens. Relever ce défi de la connaissance est la promesse de nouvelles armes contre différentes maladies. Elle a pris conscience du fait que l’immunité et l’inflammation représentent un métarécit de la Médecine, car elles sont à la base de différentes maladies : des auto-immunes aux cardiovasculaires, des neurodégénératives au cancer. Cette dernière continue de représenter un défi sanitaire, avec environ un millier de cas diagnostiqués chaque jour rien que dans notre pays.
La vision
Notre vision du cancer a profondément changé : elle n’est plus centrée uniquement sur la cellule tumorale, elle se fonde sur le constat de l’importance du microenvironnement, la niche écologique dans laquelle elle se trouve. Un microenvironnement complexe, qui comprend des défenses immunitaires “endormies” ou qui favorisent le comportement malin des tumeurs. Ce changement de paradigme a été associé à l’identification de freins et d’accélérateurs du système immunitaire et au développement de thérapies basées sur le potentiel anti-tumoral de l’orchestre immunologique : l’immunothérapie dite. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de supprimer deux freins (points de contrôle) sur le système immunitaire, avec des résultats importants pour de nombreux patients. Mais il y en a tellement d’autres à explorer. Alors on parle de
« immunorévolution »pour souligner le développement d’une nouvelle approche, complémentaire des traditionnelles dans la lutte contre le cancer. Nous utilisons des anticorps pour desserrer les freins des cellules du système immunitaire ou pour délivrer plus précisément des médicaments traditionnels et des radiopharmaceutiques. Encore une fois, nous avons commencé à utiliser des cellules dans le traitement des tumeurs : ce sont les cellules CAR-T, mais de nouvelles versions telles que CAR-CIK, CAR-NK, CAR-M se profilent à l’horizon. Enfin, les vaccins préventifs contre le cancer (hépatite B pour le cancer du foie et papillome pour le cancer du col de l’utérus…) ouvrent l’espoir de les accompagner par des vaccins thérapeutiques, profitant également de la révolution technologique des ARNm. Nous sommes donc entrés sur un continent inexploré : de nouvelles perspectives et défis, des connaissances, des technologies, des approches basées sur l’intelligence artificielle et l’immunologie des systèmes s’ouvrent devant nous. En réfléchissant à l’avenir de la recherche en biomédecine, je ne peux m’empêcher de penser à Lucio Fontana et à ses coupures sur la toile. Je les considère comme le défi à franchir, avec de nouveaux outils comme l’intelligence artificielle, la dimension du ne pas savoir, savoir au service de la santé partagée.
15 juin 2023 (changement 15 juin 2023 | 07:24)
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