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Jean-Luc Godard, le cinéaste qui a changé la grammaire et la syntaxe du cinéma

Jean-Luc Godard, le cinéaste qui a changé la grammaire et la syntaxe du cinéma

Jean-Luc Godard était un iconoclaste. Il a « détruit » le cinéma et l’a créé, chaque fois qu’il faisait un nouveau film. Il n’était lié par aucune règle ou convention jusque-là religieusement pratiquée par des générations de cinéastes avant lui.

Issu d’une famille suisse de la classe supérieure, il a découvert avec honte et horreur que son grand-père paternel était un proche allié des nazis. Cela l’a fait quitter la maison en signe de protestation et se débrouiller seul. Une fascination pour le cinéma est entrée dans son imagination fertile très tôt dans sa vie. Adolescent, il se rend sur un chantier de barrage en construction et y travaille comme aide. L’argent gagné a été investi dans la réalisation d’un documentaire sur la construction du barrage ainsi que de quelques courts métrages de fiction.

Étudiant à Paris, il côtoie plusieurs jeunes aspirants mordus par la fièvre du cinéma. La Cinémathèque de Paris s’était déjà imposée comme la Mecque du cinéma et était la destination naturelle des demandeurs. Son illustre directeur, Henri Langlois, a été de tout secours, encadrant et guidant les jeunes aspirants.

À l’âge de 19 ans, Godard écrit sa première critique d’un film qui se distingue par sa maturité et sa passion incessante pour le cinéma.

L’après-guerre voit une France ébranlée et brisée économiquement. La situation était encore pire socialement et culturellement. Un Hollywood monopolistique a continué à déverser ses chaudières stupides sur la France, remplissant les cinémas de plats d’évasion. L’industrie locale a également opté pour la facilité, produisant des choses similaires dans une imitation docile.

Des intellectuels tels que Jean-Paul Sartre ont exprimé leur colère et leur frustration en condamnant le dessein capitaliste de conduire une culture hautement évoluée comme celle de la France dans un statut captif et de la démoraliser. Sartre a condamné même un film célèbre comme celui d’Orson Welles Citoyen Kane comme un exercice futile car il restait totalement inconscient de la vie quotidienne vécue par les gens ordinaires.

Le critique et théoricien bien connu André Bazin s’est opposé à cet argument contre Citizen Kane et l’a défendu dans un article intitulé “La technique de Citoyen Kane”. Il a souligné qu’en tant qu’œuvre d’art, Citoyen Kane était irréprochable, et il avait en effet racheté le cinéma des abîmes de dégénérescence auxquels il avait été condamné.

Il a vu de longs plans et une mise au point profonde comme des éléments ajoutant à l’authenticité de la vérité dépeinte sans laisser aucune place à l’interférence ou à la manipulation. Elle avait, selon lui, renforcé l’authenticité et la pertinence du contenu.

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Dans une réponse consécutive, Maurice Schroeder, un enseignant et critique de cinéma influent, a tenu un point de vue différent des deux. Dans une pièce en trois parties pour le journal La review du Cinema, il a tenté de définir le cinéma et de le réduire à l’essentiel. Il écrit : « Ce n’est ni la durée du plan ni la clarté de la vision qui déterminent l’identité du cinéma. Au contraire, c’est la nature du contenu en termes d’acteurs et d’objets que l’artiste emballe dans les visuels qui est déterminante. Avec la performance et le dialogue des acteurs et le placement d’objets dans le cadre, les visuels prennent vie.

Nouveauté des idées, clarté de la pensée

Impressionné et attiré par l’ingéniosité de cet argumentaire, Godard rejoint ensuite le Ciné Club tenu par Schroeder dans le Quartier Latin. Schroeder présentait invariablement chaque film avant sa projection. Et une discussion ouverte, présidée par lui, suivrait à la fin.

En 1949, Schroeder a adopté le nom de plume, Eric Rohmer, et a lancé un magazine de cinéma intitulé de Gazette du Cinéma. Seuls cinq numéros ont pu être publiés avant qu’il ne soit plié. Un article de Godard figurait dans chacun de ces numéros. Ils se distinguaient par leur nouveauté d’idées et leur clarté de pensée et surtout, une forte passion pour la nouvelle foi qu’était le cinéma.

Dans l’article « Vers un cinéma politique », la seule idée qu’il soulignait avec force était que le cinéma ne se contentait pas de copier la réalité, mais faisait lui-même partie de la réalité.

Godard et ses amis ne se sont pas contentés de regarder des films et d’écrire à leur sujet. Ils avaient hâte de faire leurs propres films. La formation pratique commence par l’accompagnement d’Eric Rohmer et Jack Rivet qui réalisent leurs premiers films.

Au début des années 1950, Cahiers du Cinema avait déjà commencé la publication sous la direction de Bazin. Il a attiré certains des meilleurs jeunes esprits de son comité de rédaction ainsi que sa liste de contributeurs. Bazin lui-même était leur chef et agent provocateur. François Truffaut, Claude Chabrol, Godard et d’autres critiques anti-establishment de gauche partageant les mêmes idées se sont trouvés un forum pour exprimer leurs opinions dans Cahiers du Cinema qui allait bientôt devenir le tremplin du Nouvelle Vague (Nouvelle vague).

Coups de courte durée

Godard, dans son article de 1956 « Montage, mon beau soin », défend une vision diamétralement opposée à celle de l’éditeur Bazin. Contrairement à l’opinion de Bazin selon laquelle de longs plans sans coupures ni interruptions donneraient de l’authenticité au cinéma, Godard a soutenu que des plans de plus courte durée devraient mieux porter l’impact.

Tout en étant critiques à l’égard des films hollywoodiens en général, des réalisateurs tels qu’Alfred Hitchcock, Ford, Howard Hawks, Otto Preminger, Nicholas Ray et quelques autres ont été salués par Godard. Le problème avec les productions hollywoodiennes banales était qu’elles étaient motivées par de pures considérations monétaires, laissant peu de place à la liberté d’expression.

À peu près à l’époque, depuis l’Italie voisine, le néoréalisme faisait sensation à l’échelle internationale. Des critiques comme Bazin n’ont pas tardé à réagir et à exhorter les jeunes et les sérieux à s’imprégner de son esprit dans leur travail. Des films comme Rossellini Rome, ville ouverte et De Sica Voleurs de vélos ont été discutés, analysés et écrits en toute sincérité. La nouvelle prise de conscience et l’exposition auraient pu capter l’imagination des cinéastes potentiels.

La situation est à revoir dans le contexte du document phare du cinéaste-critique Alexandre Astruc qui a appelé les professionnels à faire en sorte que la caméra devienne le stylo entre leurs mains ( le stylet de l’appareil photo), semant la graine d’une révolution dans le cinéma.

L’argument a encore été cristallisé par François Truffaut lorsqu’il a proposé le concept de cinéma d’auteur, désignant le cinéaste comme l’auteur du cinéma. Et le dicton s’est vraiment concrétisé dans l’œuvre de Godard à maintes reprises, tout au long de sa carrière.

L’histoire d’un voleur

Dans les années 1950, la France entière était bouleversée par la nouvelle de la vie aventureuse et dangereuse d’un petit voleur et de sa fuite sans espoir de la loi.

Michel Poiccard, dans sa tentative désespérée d’échapper à la police, commet la grosse erreur de tuer un policier qui le poursuivait à moto. Il emmène avec lui sa petite amie, Patricia, une Américaine vendant le New York Herald Tribune sur les boulevards de Paris. À la fin, elle le livre à la police dans un acte de trahison et il est abattu. Truffaut était très intéressé à adapter le fait divers pour un film. Et il a commencé à travailler sur un scénario en collaboration avec Claude Chabrol. Ils ont également eu de nombreuses séances de discussion. Mais au bout d’un moment, ils se sont désintéressés du sujet.

Godard a continué à s’intéresser à l’histoire et il a demandé et obtenu la permission de Truffaut de faire son premier long métrage sur le sujet. Ce qui l’a intéressé au film, c’est l’étrange tournure de l’histoire – de Patricia livrant Michel à la police.

Dans l’histoire de Truffaut, c’est à cause de la pauvreté que le garçon se tourne vers le vol de voitures et s’adonne à des délits mineurs. Le Michel de Godard est quelqu’un d’étranger aux normes sociales et à l’État de droit et il n’a que mépris pour la vie ordonnée. C’est un abandonné endurci. C’est Truffaut qui lui a trouvé un producteur. Grâce au contact du producteur, il a obtenu un distributeur qui a accepté d’avancer de l’argent pour la production. Le tournage s’est fait sans l’attirail habituel de la production cinématographique.

Raoul Coutard, le caméraman, portait lui-même la caméra et tournait toutes les scènes en décors réels à main levée. Il marchait et courait avec les artistes en tandem. Partout où un travelling était nécessaire, le caméraman était assis sur un fauteuil roulant et Godard le poussait. Un équipement sonore léger permettait également d’enregistrer des sons de la même manière. Godard a utilisé une équipe minimale pour le tournage.

Au moment du montage, aucun effort n’a été fait pour démarrer une scène avec un plan d’établissement, puis passer à des plans moyens, semi-moyens, rapprochés, etc. Toutes ces conventions ont été brisées. Une scène commencerait par une vue rapprochée, puis se poursuivrait sans établir de connexion physique ou interne. En fait, l’idée même d’une transition en douceur, soit par match cut, soit par des optiques telles que le fondu d’entrée, le fondu de sortie, le mixage, etc., a été supprimée. L’idée était de faire prendre conscience au public qu’il regardait le cinéma et non pas d’y entrer. Ainsi, le cinéma a découvert une nouvelle terminologie — le jump cut. (Satyajit Ray m’a dit un jour en plaisantant que Godard nous a facilité la vie en nous épargnant la peine de faire correspondre les plans et de rechercher des transitions fluides.)

A bout de soufflé (Breathless) tout à coup changé la grammaire et la syntaxe du cinéma. Une série de films passant au nombre de 100 devait suivre.

Même à 91 ans, Godard rêvait de cinéma, mais le corps ne correspondait pas à son esprit. C’était comme si ça ne valait pas la peine de vivre quand on ne peut pas réaliser ses désirs. L’esprit éternel du cinéma perdure.

(Adoor Gopalakrishnan est un cinéaste chevronné)

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