François en Asie-Océanie : le « tunnel de l’amitié » de Jakarta au cœur des luttes clandestines à Gaza

François en Asie-Océanie : le « tunnel de l’amitié » de Jakarta au cœur des luttes clandestines à Gaza

2024-09-12 13:54:51

Le pape François est sans doute à son meilleur lorsqu’il est loin de Rome. Ses voyages apostoliques au Moyen-Orient et en Extrême-Orient en sont de parfaits exemples, et son épuisant voyage en septembre en Indonésie, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Timor-Leste et à Singapour ne fait pas exception.

Promouvoir le dialogue interreligieux en Indonésie

En Indonésie, où le christianisme est minoritaire, le pape François a évoqué l’importance d’œuvrer pour la paix et la coexistence interreligieuse, notamment avec l’islam, dans la « Déclaration de l’Istiqlal » signée le 5 septembre. Il a réitéré sa vision d’un christianisme dialogique qui rejette l’extrémisme et le fondamentalisme religieux. Il a encouragé l’inculturation de la foi, en précisant que l’inculturation de la liturgie, de la théologie et de la catéchèse post-Vatican II est là pour durer et qu’il n’y a aucune perspective de re-latinisation ou de nouvelle romanisation du catholicisme mondial. François marche sur les traces de saint Jean-Paul II, en actualisant et en portant aux antipodes la «esprit d’Assise« (la première Journée mondiale de prière pour la paix à Assise, en Italie, le 27 octobre 1986, et appelé par le pape polonais), ce qui est encore considéré par certains catholiques traditionalistes comme un sacrilège.

Le pape François s’est rendu en Asie et en Océanie non pas pour annoncer de nouvelles politiques ou pour remodeler les églises locales, mais pour rapprocher la présence du pape des chrétiens et de leurs concitoyens, permettant ainsi au catholicisme de s’épanouir tout en enseignant quelque chose à l’Église mondiale. Il a fait tout cela dans une démonstration émouvante de joie, de tendresse et de simplicité, qui envoie également un message puissant à ceux qui identifient le catholicisme à une explosion de griefs contre la culture moderne et la sécularisation, contre l’Église institutionnelle et contre leurs coreligionnaires de l’autre côté des barricades idéologiques.

Un voyage vers les périphéries

Ce voyage est l’incarnation même de la proximité de François avec les périphéries. C’est le voyage le plus long et le plus éloigné de Rome pour François. C’est un voyage qui redéfinit une fois de plus l’imagination catholique de la carte du monde au troisième millénaire : les relations nord-sud et est-ouest et la place du centre du monde et de l’Église dans cet ordre mondial post-européen. La Papouasie-Nouvelle-Guinée se trouve à 19 047 kilomètres du Vatican. Elle est plus proche de New Delhi, Pékin et Tokyo qu’un voyage à Los Angeles et New York.

Et pourtant, dans un certain sens, l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Timor-Leste et Singapour représentent les endroits les plus proches où François pourrait se rendre pour trouver l’expérience de l’Église qu’il a en tête. Il y a trois questions que ce voyage passe sous silence ou ne montre pas, mais qui sont au cœur de la crise du catholicisme aujourd’hui.

Le défi du catholicisme dans un monde post-européen

Le premier élément est politique. En commençant ce voyage par l’Indonésie, il porte en lui un écho du nouveau «Mouvement des non-alignésPendant la guerre froide, les pays du monde en développement se sont abstenus de s’allier à l’une ou l’autre des deux superpuissances (les États-Unis et l’Union soviétique) et se sont plutôt unis pour soutenir l’autodétermination nationale contre toute forme de colonialisme et d’impérialisme. Le moment fondateur fut la conférence de Bandung, en Indonésie, en 1955. Cette conférence fut accueillie avec sympathie par certains catholiques d’Europe et d’Occident, préfigurant les changements apportés par Vatican II et les papes depuis Jean XXIII, qui ont repositionné le Saint-Siège et le catholicisme loin d’une identification politique et idéologique avec l’Occident.

« Le pontificat de François aspire toujours à une troisième option entre les États-Unis et la Russie, une option qui rejette à la fois l’ordre mondial néolibéral dominé par les États-Unis et l’ethno-nationalisme illibéral et les régimes autoritaires qui se sont installés dans de nombreux pays. »

Aujourd’hui, le pape François aspire toujours à une troisième option entre les États-Unis et la Russie, une option qui rejette à la fois l’ordre mondial néolibéral dominé par les États-Unis et l’ethno-nationalisme illibéral et les régimes autoritaires qui se sont installés dans de nombreux pays, dont certains font encore officiellement partie de ce qui reste du Mouvement des non-alignés. Par exemple, la République de Biélorussie, voisine russe de Poutine et alliée la plus fidèle, est membre du Mouvement des non-alignés depuis 1998. Le 19e sommet du Mouvement des non-alignés s’est tenu en janvier dernier à Kampala, et le mouvement est actuellement présidé par l’Ouganda, un pays dont le code pénal contient l’une des lois anti-gay les plus sévères. Ce qu’est devenu le Mouvement des non-alignés en dit long sur la place du Vatican (et sur son absence) sur la carte idéologique du monde d’aujourd’hui et sur le manque ou la rareté d’interlocuteurs politiques viables pour le Saint-Siège.

Trouver du réconfort auprès des catholiques non alignés d’Asie-Océanie

Le deuxième élément est ecclésial. Ce voyage de septembre en Asie et en Océanie a amené le pape aussi loin que possible des frontières historiques de l’Empire romain (dans toutes ses dispensations possibles, d’Auguste au Saint-Empire romain germanique jusqu’à Napoléon), de Washington DC et de l’ordre libéral international autrefois dominé par l’Occident.

Mais l’Asie et l’Océanie offrent aussi un environnement ecclésial qui est pour François beaucoup plus confortable que celui de l’Europe et de l’Occident aujourd’hui. Les visites de François dans ces périphéries signalent sa préférence pour les catholiques non alignés dans nos guerres froides intra-ecclésiales – ceux qui ne s’alignent pas sur un programme particulier sur des questions telles que le diaconat des femmes, les différentes théories de la synodalité, les politiques de lutte contre le cléricalisme et la crise des abus (malgré le cas de l’évêque Carlos Ximenes Belo, héros du mouvement d’indépendance dans son Timor oriental natal et prix Nobel de la paix, que le pape François a indirectement reconnu le 9 septembre).

« Les visites de François dans ces périphéries signalent sa préférence pour les catholiques non alignés dans nos guerres froides intra-ecclésiales – ceux qui ne s’alignent pas sur un programme particulier sur certaines questions. »

Les catholiques d’Indonésie, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, du Timor-Leste et de Singapour diffèrent de l’image que les médias occidentaux véhiculent du catholicisme. Mais ils appartiennent au peuple de François, plus que les militants de la réforme de l’Église, les théologiens féministes ou, d’ailleurs, la plupart des théologiens universitaires. Et pourtant, les questions qui ne sont pas visibles lors de ce voyage continueront d’être des questions centrales pour le catholicisme dans le monde occidental et, dans un avenir pas si lointain, également dans ces Églises des périphéries.

Le dialogue interreligieux dans le contexte des tensions mondiales

Le troisième élément est interreligieux, Et cela a à voir avec l’islam et le judaïsme. La mosquée Istiqlal en Indonésie se trouve en face de la cathédrale de Jakarta, reliée par un « tunnel de l’amitié » en symbole de fraternité religieuse. François a visité le tunnel avant la rencontre, offrant des bénédictions et signant une section de celui-ci. Ce 5 septembre, il était difficile de ne pas penser à d’autres tunnels qui relient et divisent tragiquement aujourd’hui, comme les tunnels de Gaza, où des otages israéliens, pris le 7 octobre 2023, ont été détenus et assassinés par le Hamas.

« Forger une nouvelle relation avec l’islam nécessite de faire face aux problèmes intentionnellement non abordés de l’ère pré-François, depuis la déclaration du Vatican II Notre âge en avant : le sionisme politique et religieux, la terre et l’État d’Israël.

Aussi délicates que soient les relations entre chrétiens et musulmans en Indonésie et en Asie du Sud-Est, le défi immédiat consiste aujourd’hui à traiter avec l’islam et le judaïsme au Moyen-Orient. Le pontificat de François tente de faire pour la relation entre l’Église et l’islam ce que saint Jean-Paul II a fait pour la relation avec le judaïsme. Le défi est que forger une nouvelle relation avec l’islam nécessite de faire face aux problèmes intentionnellement ignorés de l’ère pré-François, depuis la déclaration de Vatican II Notre âge en avant : le sionisme politique et religieux, la terre et l’État d’Israël.

Le dialogue interreligieux mené par le Vatican est devenu incroyablement plus difficile depuis les attentats terroristes du Hamas du 7 octobre 2023 et la guerre aveugle d’Israël contre Gaza. Le dialogue interreligieux est essentiel à la crédibilité des catholiques et des chrétiens dans de nombreuses régions du monde où ils constituent une petite minorité. La situation en Israël et au Moyen-Orient menace non seulement la paix mondiale, mais aussi la survie des Églises minoritaires, qui n’apparaissent souvent pas sur les réseaux sociaux, dans les colonnes des experts catholiques et dans les agendas des « chrétiens culturels » dans les politiques européennes et occidentales.

Ce sera probablement l’un des points majeurs de l’ordre du jour du prochain conclave qui élira le successeur de François. Quel que soit le moment où il aura lieu, il se tiendra au Vatican, à 19 047 kilomètres de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Massimo Faggioli @MassimoFaggioli

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