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Ce mars 2020, avec COVID-19 à Bergame

Ce mars 2020, avec COVID-19 à Bergame

Marco Cremaschini

La question à porter sérieusement à l’attention des politiciens et des programmeurs n’est pas Si la médecine territoriale s’est tenue ou moins, mais plutôt De quoi et de combien de ressources il aurait dû disposer médecine territoriale pour pouvoir faire face à la vague malheureuse de la pandémie.

Dans le récit de la pandémie de Sars-Cov2, la médecine locale a été définie par beaucoup comme le “maillon faible” du système de santéle volet “qui n’aurait pas tenu” dans la première vague pandémique et notamment dans ce terrible mois de mars 2020. A l’heure de la troisième fête nationale en mémoire des victimes de la pandémie, il faut réfléchir à cette déclaration qui , répété à diverses reprises, s’est transformé en croyance commune. Sans vouloir cacher les problèmes des soins primaires en Italie, cela semble cependant être un récit de complaisance, utile surtout aux responsables de l’appauvrissement des soins primaires et de la santé publique, qui veulent nier l’échec, peut-être même inévitable face à une catastrophe pandémique, d’un système qui, depuis des décennies, concentre presque exclusivement tous les investissements de santé sur l’hôpital soin. Un récit qui convient peut-être aussi à ceux qui, si l’échec du système de médecine générale était décrété, seraient prêts à prendre sa place.

Avec l’affirmation que la médecine territoriale n’a pas résistéplus qu’une réflexion sur les ressources (en particulier les soins primaires), parfois c’est aussi sous-entenduplus ou moins discrètement, que les médecins auraient pu faire plus, ne leur reconnaissant pas le mérite d’avoir dépensé beaucoup, avec toutes les forces possibles, pour faire leur travail du mieux possible dans un contexte dramatique dans lequel 9 d’entre eux, dans notre province, ont perdu la vie. Pour moi et pour tous les collègues qui vivaient ces jours-là dans le service de soins primaires de l’ATS de Bergame, se souvenir de la pandémie signifie se souvenir de leurs visages, des explosions téléphoniques, de l’épuisement et même des larmes de beaucoup d’entre eux qui à l’époque travaillaient plus plus de 12 heures par jour, ils ont envoyé des captures d’écran de leurs téléphones avec le nombre d’appels reçus, ils ont dit qu’ils n’avaient pas vu les membres de leur famille depuis des jours en raison des heures de travail ou de l’auto-isolement adopté par peur de les infecter.

Je voudrais essayer de raconter ce mois de mars 2020 d’un autre point de vue, d’ouvrir une réflexion sur ce sujet, en essayant de partir des chiffres. Car les chiffres ont été les grands absents de ce récit. Commençons par le nombre d’agents de santé : sur combien de personnel qualifié pourriez-vous compter pour faire face à la pandémie dans la province de Bergame en ce mois de mars 2020 ?

L’armée des structures hospitalières

Il est assez difficile d’avoir le nombre exact de personnel de santé travaillant dans les différents hôpitaux de la province. Cependant, on peut se faire une idée à partir des données ISTAT relatives à la Lombardie en 2020 (les données sur une base provinciale ne sont pas facilement disponibles) qui indiquent la relation entre médecins généralistes et médecins spécialistes à 1 sur 5 et la relation entre médecins généralistes et autres spécialistes à 1 profession de la santé sur 9. Le calcul rassemble environ 3500 médecins spécialistes et 6300 professions de santé. Si nous ne nous intéressons qu’à l’ordre de grandeur, considérons 10 000 agents de santé, avec des installations, des espaces, du personnel de soutien, des équipements diagnostiques et thérapeutiques avancés à leur disposition.

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Les troupes de la médecine du territoire

Et combien y avait-il de militaires en médecine générale qui – dans une vision ancillaire des soins primaires – auraient dû défendre les Urgences face à l’assaut des malades du Covid19 ? À Bergame en ce mois de mars 2020, nous parlons de 700 médecins généralistes, avec quelques dizaines d’infirmières à temps partiel et 150 pédiatres. En additionnant les Médecins de la Continuité des Soins et les Médecins de l’USCA on n’arrive pas à 1000 unités. Environ un dixième des agents de santé présents dans les hôpitaux. Parmi les 700 médecins généralistes, l’âge moyen était de 61 ans, beaucoup d’entre eux étaient proches de la retraite et beaucoup présentaient un risque élevé de complications ou de décès en cas d’infection par le Sars-Cov2, en raison de leur âge et de leur comorbidité. Ils n’avaient pas d’écouvillons de diagnostic disponibles (au cours de ces mois fournis uniquement aux hôpitaux), ils n’avaient pas d’armes thérapeutiques spécifiques (les antiviraux à l’époque étaient exclusivement des prescriptions hospitalières), initialement ils manquaient également d’EPI adéquats, non achetables car ils avaient pratiquement disparu du marché : 150 d’entre eux sont tombés malades immédiatement en ce mois de mars.

Cas gérés par des médecins locaux

Mais qu’ont fait ces 700 médecins en pratique (sans vouloir oublier les pédiatres et MCA et USCA) dans ces conditions ? Eh bien, ce que personne ne dit jamais, ils ont traité la majorité des cas de Covid19 de toute la pandémie. Soit environ 90% des malades, qui sont restés chez eux et n’ont jamais vu l’hôpital, même pas de loin.

Mais de combien de cas parle-t-on ?

En mars 2020, un nombre de cas de l’ordre de 10 000 ont été constatés à Bergame, tous dans les hôpitaux, où des écouvillons de diagnostic étaient disponibles, et un nombre de décès du Covid19 d’environ 3500 ont été enregistrés (l’excédent de décès par rapport au mois de mars de l’année précédente est plus proche de 5000). Les cas provenant de différentes sources ne coïncident toujours pas aujourd’hui, mais ici aussi, nous ne nous intéressons qu’à l’ordre de grandeur. Si les vrais cas n’avaient été que les 10 000 constatés par écouvillonnage, la maladie aurait dû avoir une létalité impossible, supérieure à 35 %. En réalité on savait déjà alors que la létalité générale de la maladie se situait entre 1 et 2 %. Cela signifie que le nombre réel de cas a dépassé de plus de 10 fois celui de ceux confirmés avec un écouvillon moléculaire (les seuls qui figuraient dans les statistiques). En pratique, au mois de mars 2020 dans la province de Bergame, on peut estimer un nombre de cas de l’ordre de 100 000 à 150 000. Si on enlève les 10 000 patients hospitalisés, cela signifie qu’en mars chacun de ces 700 médecins avait environ 200 cas de Covid parmi ses patients. Environ 6 nouveaux cas par jour, qui s’ajoutent chaque jour à ceux des jours précédents. En considérant une durée moyenne de la maladie de 8 jours, il y avait pour chaque médecin environ 50 patients Covid19 à suivre à domicile chaque jour.

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Naturellement, de la seule manière possible : anamnèse au téléphone, enregistrement des paramètres et prescriptions à distance, visites uniquement si absolument indispensables (parfois même recours à l’USCA). En outre, il y avait la recherche des contacts étroits à identifier et à signaler, les instructions d’isolement et de quarantaine à donner, la déclaration des maladies infectieuses, la bureaucratie des certificats de maladie, les prescriptions de médicaments et d’oxygène…

Parmi ces patients, il y en avait beaucoup qui, selon toutes les directives du monde, auraient dû être hospitalisés, car ils souffraient déjà d’une insuffisance respiratoire grave. Mais le numéro d’urgence 112 ne répondait pas, les ambulances n’arrivaient pas, les urgences étaient saturées de longues files de civières à l’extérieur et les lits des salles d’hôpital étaient tous occupés.

Pourquoi oui, il faut l’avouer, en ce malheureux mois de mars 2020 même les hôpitaux n’ont pas tenu. Même le système d’urgence-urgence n’a pas tenu le coup. Et où sont passés tous les patients qui avaient besoin d’être hospitalisés et qui n’ont pas trouvé de place à l’hôpital ? Ils sont restés chez eux, parmi ces 50 patients que tout médecin généraliste aurait dû suivre chaque jour. Au cours de ce mois, chacun de ces médecins recevait 90 à 100 appels téléphoniques par jour. Nous avons recueilli leurs emportements et leur désespoir, car ils étaient épuisés et ne savaient pas combien de temps ils pourraient continuer ainsi, face à des patients et des proches terrifiés. Ces médecins qui ne pouvaient pas dire « il n’y a plus de place ici » ne pouvaient pas référer le cas à quelqu’un d’autre. Après être tombés malades, beaucoup d’entre eux ont continué à travailler au téléphone aussi longtemps que leurs forces le permettaient. Cela aussi mérite d’être raconté.

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50 patients Covid19 par jour à suivre. Avec ces chiffres, quelqu’un est-il vraiment surpris que les téléphones des médecins soient toujours occupés et qu’il soit difficile de les joindre ? Et certains sont vraiment surpris si un médecin malade (1 sur 4 est tombé malade dans les 2 premiers mois), après de vaines tentatives pour trouver un remplaçant, a cessé de répondre au téléphone pendant quelques jours, peut-être parce que lui aussi était alité avec un manque de l’haleine et la fièvre ? Oui, il est également arrivé que certains patients aient dû se débrouiller seuls (voire mourir) par eux-mêmes. La pandémie, c’était aussi cela, au-delà de toute rhétorique.

Une comparaison erronée mais nécessaire

En mars 2020, les hôpitaux de province dans leur ensemble ont diagnostiqué et suivi 10 000 cas de Covid. En moyenne 320 nouveaux cas par jour. Ils ont fait un travail de titan, en très peu de temps ils ont reconverti des départements entiers à la prise en charge des patients Covid19. Ils ont traité les cas qui nécessitaient des soins plus intensifs et, malgré la disponibilité des ressources humaines, ils ont subi un stress qu’aucun opérateur n’oubliera jamais. La comparaison est fausse pour de nombreuses raisons, mais si, malgré des efforts héroïques, ces établissements de santé qui pouvaient compter sur 10 000 soignants sont entrés en crise avec 320 nouveaux patients Covid19 par jour, comment pourrait-on penser que le système de soins primaires, avec 1 000 opérateurs , avec pratiquement aucun outil ni personnel de soutien, traitez plus de 4 000 nouveaux cas par jour (dont certains ont nécessité des soins hospitaliers) ?

La question à porter sérieusement à l’attention des politiciens et des programmeurs n’est pas Si la médecine territoriale s’est tenue ou moins, mais plutôt De quoi et de combien de ressources il aurait dû disposer médecine territoriale pour pouvoir faire face à la vague malheureuse de la pandémie. Poser la bonne question et y répondre par des investissements conséquents est le seul moyen d’éviter que la prochaine pandémie ne nous retrouve dans les mêmes conditions.

Marco Cremaschini a travaillé comme médecin dans le département de soins primaires de l’ATS de Bergame pendant la pandémie. Depuis juin 2022, il est médecin généraliste dans la province de Bergame

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